Quelques mois après avoir célébré son 100e anniversaire, Henry Kissinger est décédé le 29 novembre 2023.

Intellectuel de renom et homme-phare de la diplomatie américaine, il aura profondément marqué la politique étrangère des États-Unis et la réflexion sur les relations internationales.

Proche de l’Ifri et de son fondateur, Thierry de Montbrial, Henry Kissinger a, par ailleurs, de 1962 à 1986, écrit à quatre reprises dans Politique étrangère.

Nous vous invitons également à relire l’article de Philippe Moreau Defarges : « Kissinger, ou le dernier diplomate », publié dans Politique étrangère (n° 1/2017), dont nous reproduisons ci-dessous un extrait.

« […] Dans les années 2000, suite au choc du 11 septembre 2001, le néo-conservatisme américain, réaction caricaturale mais inévitable, s’invente en croisade pour la démocratie. Ce sont les interventions américaines en Afghanistan et en Irak. La démocratie occidentale, portée par sa dynamique universaliste, paraît ne pouvoir s’arrêter de vouloir se diffuser. Tout comme le docteur Frankenstein, elle fabrique des monstres qui lui échappent immédiatement : un Afghanistan qui tente désespérément de ravauder ses liens ethniques ; un Irak déchiré par l’appétit de revanche des chiites, auquel les sunnites répondent par une rage aveugle qui se matérialise dans l’État islamique.

L’engrenage, le cauchemar du Vietnam sont à nouveau là, beaucoup plus fous et incontrôlables. L’ennemi n’est pas un nationalisme bien identifiable, mais l’hydre en métamorphose permanente des films de science-fiction.

Kissinger nous dit-il quelque chose de cette « idéologisation » du monde ? Il est et reste un Allemand, un Européen, un homme des Lumières même s’il a saisi leur part d’ombre. Kissinger est sans doute un dernier « honnête homme », pour qui l’immense culture forme une muraille supposée protectrice contre les lames de fond. L’idéologique n’est pas nié, mais il doit être et rester un instrument de la Raison. Or l’idéologique d’aujourd’hui a échappé à l’Occident. Loin de tenter de formuler l’universel, le voici au service de particularismes qui ne cessent de se multiplier.

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Henry Kissinger est bien le dernier diplomate. La mondialisation, l’explosion des circulations, la bureaucratisation de la planète, la contraction spectaculaire de l’espace et du temps démodent irrémédiablement les manœuvres de la puissance. Ces jeux pluriséculaires ne disparaîtront pas en un jour. Mais ils deviennent dérisoires pour une humanité condamnée à se gouverner et s’administrer comme un ensemble, avec pour priorité de garder vivable la terre, notre maison. Ingénieurs, bureaucrates, financiers, gestionnaires imposent déjà leurs dogmes.

Comme le Guépard de Lampedusa, Kissinger s’inscrit dans la longue et magnifique lignée d’hommes de cabinets, à la culture étincelante. Mais, comme bien des spécialistes des végétaux et des animaux peuvent nous le rappeler, les espèces les plus sophistiquées survivent parfois mal aux ruptures et aux changements d’époque. »

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