Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Anne-Clémentine Larroque propose une analyse de l’ouvrage d’Hugo Micheron, La colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme européen (Gallimard, 2023, 400 pages).

Le mois d’octobre 2023 a montré l’actualité de cet ouvrage. Avec l’attentat commis par un jeune Ingouche à Arras et l’attaque à Bruxelles de deux Suédois au nom de l’État islamique, l’Europe semblerait vivre la fin d’une marée basse, selon l’expression consacrée par l’auteur. Outre son extrême clarté, la qualité première de l’ouvrage est de présenter avec efficacité la force de frappe des organisations terroristes djihadistes qui ciblent l’Europe et le monde occidental suivant un mouvement de marée haute et de marée basse.

À l’échelle de la région européenne, pour saisir les mécaniques d’influence et de dissémination projetées des zones de djihad actif des années 1990 à nos jours, il manquait une synthèse approfondie. En s’y attelant, Hugo Micheron a rappelé les trois types d’acteurs qui, décennie après décennie, ont constitué le maillage des réseaux djihadistes en Europe : les vétérans, les pionniers et les autochtones.

L’arrivée des vétérans d’Afghanistan de la décennie 1990 précise les modalités d’insertion d’une idéologie en transformation dès lors qu’elle s’exporta de Peshawar à Londres, rebaptisée Londonistan. Ensuite, elle circule de la Bosnie à la Scandinavie ; même si l’influence d’Abou Talal dans les rues de Copenhague est ici plus suivie que les ressorts du foyer bosniaque en tant que tel, la présentation de cette figure clé insiste sur la continuité du combat de vétérans radicalisés en Europe ou de Syriens exilés tels Omar Bakri, Olivier Corel ou Abou Dahdah. L’auteur croise ensuite les trajectoires, de l’Algérie à la Belgique de Molenbeek, en passant par la campagne du GIA en France, un passage peu mis en valeur par les titres du livre mais constituant pourtant le premier cycle du djihadisme européen.

Les pionniers de la décennie 2000, rendus célèbres par les actes de terrorisme en Europe d’Al-Qaïda à Madrid et à Londres en 2004 et 2005, précisent les ressorts du réseau salafo-djihadiste tissé entre Toulouse, Bruxelles et Le Caire, mais aussi l’influence d’Al-Awlaqi sur tout le continent. Au-delà de ces aspects plus connus, Hugo Micheron démonte le « modèle allemand », dont on comprend qu’il s’agit principalement d’un écosystème de salafistes établis entre la Maison multiculturelle (MKH) et un Centre d’information islamique (IIZ) dans la ville d’Ulm, où incubent les cellules terroristes de Sauerland des années 2000. Cette analyse, inédite, ne l’est pas moins que le passage sur la fin du djihad en Irak et la révolution numérique du djihadisme, qui présente notamment l’occidentalisation de la propagande. La présentation du site francophone Ansar Al-Haqq, créé par une Française, est d’un intérêt qui appelle l’approfondissement.

Enfin, les autochtones avant et post-Daech (concept discutable) de la décennie 2010 suggèrent d’éclairer les réseaux installés depuis trente ans en Europe. L’idée force de l’ouvrage émerge ici : la Belgique, la Suède et le Danemark demeurent les pays européens les plus touchés par les départs de leurs nationaux en Syrie et en Irak.

Quelques précisions sur les fondateurs de l’association Sanâbil, sur le nombre de Français ayant rejoint une organisation djihadiste (aux alentours de 1 500) et sur le concept de Röstigraben suisse auraient pu être apportées ; cette remarque ne remettant nullement en cause la valeur d’une fresque indispensable à la compréhension du djihadisme en Europe et dans le monde.

Anne-Clémentine Larroque

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