Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Maurice Vaïsse, Documents diplomatiques français: 1974 (tome 1) (Maisonneuve & Larose, 2023, 924 pages).

Publiés à intervalles irréguliers, les Documents diplomatiques français contiennent une sélection des notes et télégrammes diplomatiques les plus pertinents issus de nombreux postes diplomatiques, de même que de l’administration centrale. Le premier semestre 1974 est particulièrement riche en évènements internationaux, en Europe et dans le monde : à la suite de la guerre du Kippour d’octobre 1973 puis du choc pétrolier, les grandes manœuvres commencent dans le domaine de l’énergie, avec en particulier une conférence qui réunit à Washington les seuls pays consommateurs ; la révolution des Œillets a éclaté au Portugal le 25 avril ; au Cambodge les Khmers rouges sont à l’offensive tandis qu’au Vietnam du Sud la situation se dégrade. La politique de présence au Moyen-Orient développée par le président Pompidou est reprise à son compte par Valéry Giscard d’Estaing, nouvellement élu.

Au Moyen-Orient, la France entend établir avec un certain nombre de pays des relations étroites, pour des raisons politiques et pour des motifs économiques et financiers. Face au quadruplement des prix du pétrole, il importe de « recycler les capitaux », en clair de financer le déficit de la balance des paiements en proposant que les importants surplus de revenus engrangés par les pays producteurs de pétrole servent à financer l’importation de biens d’équipement français ou soient placés en France. C’est le cas pour l’Irak, où Saddam Hussein est l’homme fort sur qui l’on mise : le portrait que fait l’ambassadeur de France à Bagdad de ce jeune dirigeant de 37 ans, laïc, est un modèle du genre. Avec l’Arabie Saoudite, on conforte une coopération militaire déjà ancienne. Les émirats du Golfe, notamment le Koweït et Abou Dhabi, ne sont pas oubliés. Cette politique de présence sera fortement amplifiée par le président Giscard d’Estaing, avec des projets ambitieux dans les domaines sensibles que sont l’armement et le nucléaire, en particulier avec Bagdad, Riyad et Téhéran.

Dans le même temps, après le choc pétrolier de 1973, la France entend jouer un rôle actif pour créer un nouvel ordre dans le domaine de l’énergie. Elle participe à la conférence de Washington initiée par les États-Unis, tout en regrettant que la participation soit limitée aux seuls pays consommateurs de pétrole. La conviction, du côté français, est que la crise de l’énergie et la nécessité d’un flux régulier au juste prix impliquent un dialogue avec les pays producteurs. Ces idées seront reprises quelques mois plus tard, lorsque Valéry Giscard d’Estaing lancera le dialogue Nord-Sud à travers la Conférence sur la coopération économique internationale, qui s’ouvre en mars 1975 afin d’établir un « nouvel ordre économique mondial ».

Au Portugal, le coup d’État initié le 25 avril par le général Spínola et le rétablissement de la démocratie sont suivis avec attention et sympathie à travers une dense correspondance diplomatique. La France apporte d’emblée son soutien aux nouvelles autorités, aux prises avec d’énormes problèmes économiques et financiers, qui doivent faire face à la décolonisation des territoires d’outre-mer. Paris estime indispensable un ancrage du Portugal à la Communauté économique européenne.

Cet ouvrage illustre le travail des diplomates dans une conjoncture internationale mouvementée, et qui touche des pays très sensibles. Il permet de mieux comprendre la politique menée à l’époque avec succès lors de la fin de la présidence Pompidou et par le nouveau président élu, Giscard d’Estaing.

Denis Bauchard

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