Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Benoît de Tréglodé propose une analyse de l’ouvrage d’Yves Duchère, Vietnam et États voisins. Géopolitique d’une région sous influence (Armand Colin, 2023, 400 pages).

Le livre du géographe Yves Duchère revient sur trois éléments centraux pour comprendre l’émergence récente du Vietnam sur la scène internationale : la place de l’histoire et de la géographie du pays dans la construction de son État-Parti, l’importance des mutations sociales depuis les réformes économiques du Đổi mới lancées en 1986 (inégalités, impact des vulnérabilités environnementales, urbanité comme mode opératoire d’une transition rapide vers l’économie de marché), et l’influence des zones de circulation entre le Vietnam, le Cambodge, le Laos et leur grand voisin chinois.

Dans les trois dernières décennies, le Vietnam a su gérer conjointement le développement de son économie, ses impératifs de stabilité politique et son intégration internationale. À l’approche du 14e congrès du Parti communiste vietnamien (en janvier 2026), les dirigeants du pays renforcent leur politique d’équilibre avec les grandes puissances, dans un souci premier de préservation de leurs intérêts nationaux. L’atout principal du livre de Yves Duchère est de proposer une lecture nuancée et bien documentée de ces enjeux, là où la plupart des écrits sur le sujet cherchent d’ordinaire la rupture, ou l’idée d’une « transition vers ».

L’auteur montre que la gouvernance autoritaire du Vietnam est avant tout pragmatique, que ses élites ne sont ni parfaitement rigides, ni entièrement téléguidées depuis Pékin ou par les nouveaux acteurs de l’Indo-Pacifique, États-Unis en tête. Il rappelle que l’émergence du pays s’est toujours accompagnée d’enjeux historiques et socio-économiques qui ne peuvent être compris hors des relations d’influences réciproques que le pays entretient avec ses voisins, et en premier lieu avec la Chine. Pour Hanoï, si la Chine est perçue comme une menace (concernant par exemple les contentieux maritimes en mer de Chine méridionale), elle est aussi une source d’opportunités. Pékin est le premier partenaire économique de Hanoï, son premier soutien politique, et les liens entre les deux partis communistes jouent un grand rôle dans la relation entre les deux États. La politique chinoise du Vietnam a en outre permis à ses dirigeants de renforcer la place du pays depuis les années 1990 au centre du nouvel ordre régional en Asie.

En jouant, ou non, la carte de Pékin, ses dirigeants ont su se rendre crédibles vis-à-vis de leurs partenaires sur la scène régionale. L’auteur montre que la politique du Vietnam est innervée de ces contradictions, dans la sphère des relations internationales, pour l’élaboration de ses politiques de développement, ou dans le domaine politique, où les élites disposent d’une « gouvernance multi-variée capable d’intégrer, d’absorber et de limiter l’emprise sociale et spatiale des mouvements locaux de contestations ».

Pour perdurer, se réadapter en permanence à l’évolution du pays, le régime de Hanoï assoit son autoritarisme politique sur un dialogue entre l’État et la société dans une recherche du consensus. Ces valeurs de malléabilité sont des outils au service de la stabilité politique du pays, une attitude qui n’a pas manqué d’étourdir, au fil des ans, plus d’un partenaire. Mais, comme le relève Yves Duchère, Hanoï sait que la Chine a besoin de ce type de mode opératoire dans ses relations avec les États de sa périphérie, alors que nombreux sont ceux qui ne lui prêtent qu’un impérialisme prédateur animé de projets de conquêtes territoriales.

Benoît de Tréglodé

>> S’abonner à Politique étrangère <<