Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Marie Krpata, chercheuse au Comité d’étude des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Janka Oertel, Ende der China-Illusion. Wie wir mit Pekings Machtanspruch umgehen müssen (Piper Verlag, 2023, 304 pages).

La politologue et sinologue allemande Janka Oertel s’attaque aux illusions encore trop répandues en Allemagne sur la Chine. Berlin s’est en effet souvent montré complaisant avec Pékin, au prétexte que son inclusion dans le commerce international – dont a grandement profité l’économie allemande – rendrait plus démocratique son régime.

Les relations bilatérales se sont cependant dégradées ces dernières années, la Chine défiant ouvertement les fondements économiques et l’« ordre international libéral » sur lesquels s’est appuyé Berlin ces dernières décennies. Le « partenariat sans limites » Russie-Chine et la guerre russe contre l’Ukraine marquent un tournant pour l’Allemagne, jusque-là dépendante de la Russie sur le plan énergétique et dont la Chine est le principal partenaire commercial. Le discours de la Zeitenwende du chancelier Scholz laissait présager d’une entrée de Berlin dans une realpolitik que Berlin avait jusqu’ici considérée avec réticence.

Le réveil géopolitique semble donc s’imposer. La nouvelle configuration de son environnement sécuritaire pousse l’Allemagne à se repositionner par rapport à la Chine, alors même qu’elle doit aussi revoir sa politique de sécurité et de défense, et sa politique énergétique. Pourra-t‑elle affronter ces défis ou sera-t‑elle tentée de rester dans sa « tour d’ivoire » face à la Chine, soucieuse de ne pas ouvrir un front supplémentaire ?

Les implications d’une possible déstabilisation en mer de Chine méridionale autour des velléités chinoises sur Taïwan semblent loin des préoccupations de l’Allemagne qui, le cas échéant, serait pourtant durement impactée, comme le souligne Oertel : perturbation de ses chaînes de valeur, perte d’approvisionnements critiques, abandon d’un débouché de taille…

Au-delà des évolutions géopolitiques, c’est la diminution de sa compétitivité que redoute Berlin. Si celle-ci découle en grande partie de ses choix économiques et de la difficulté à mettre en place une politique industrielle à l’échelle européenne à l’instar de celle des États-Unis ou de la Chine, elle s’explique aussi par une concurrence déloyale chinoise à laquelle l’Union européenne peine à tenir tête. À contre-courant, Janka Oertel qualifie la Chine de concurrent, y compris en matière de transition écologique. Les choix technologiques associés à cette transition risquent en effet de se faire en faveur de la Chine.

Aux considérations économiques s’ajoutent des défis sécuritaires. Berlin hésite pourtant entre ménager son principal partenaire commercial et se montrer ferme pour ne pas renouveler les mêmes erreurs qu’avec la Russie. L’Allemagne est déstabilisée par des intérêts économiques de court terme et des arguments sécuritaires teintés de prudence de plus long terme, ainsi que l’illustrent la participation de Cosco au capital de l’opérateur d’un terminal portuaire à Hambourg ou le recours à la technologie 5G chinoise.

Dans une analyse qui illustre la multidimensionalité du défi chinois, Janka Oertel démontre que la politique de l’autruche a fait son temps. Oertel soutient qu’il est à présent nécessaire de mener un débat franc, même si dénué de catastrophisme, sur l’approche que l’Allemagne doit adopter par rapport à la Chine. Ce à quoi son ouvrage contribue assurément.

Marie Krpata

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