Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Jérôme Doyon propose une analyse de l’ouvrage de Yasheng Huang, The Rise and Fall of the EAST: How Exams, Autocracy, Stability, and Technology Brought China Success, and Why They Might Lead to Its Decline (Yale University Press, 2023, 440 pages).

Le EAST du titre de Yasheng Huang n’est pas seulement une référence à l’Asie de l’Est et à la montée en puissance de la Chine, c’est aussi un acronyme : Examens, Autoritarisme, Stabilité et Technologie. Pour Huang, c’est l’interaction entre ces quatre éléments qui a façonné l’histoire politique chinoise pendant près de 1 500 ans. Les examens impériaux (keju), structurés dès le XIe siècle, ont une place centrale dans cette équation. Ils ont permis de développer et maintenir sur la durée une élite homogène au service de l’État, mais aussi de préempter la structuration d’une aristocratie, ou bourgeoisie, s’organisant en dehors du système étatique et pouvant servir de contre-pouvoir.

En digne successeur de l’administration impériale, le Parti communiste chinois a mis en place une série d’outils méritocratiques, dans la continuité des examens impériaux, pour évaluer, régimenter et homogénéiser son élite. Ce qui, pour Huang, explique que, malgré l’étendue du pays et sa population, la Chine conserve un système autoritaire. Une stabilité autoritaire qui s’est souvent maintenue au prix de la stagnation technologique.

Pour condenser, et simplifier, la longue et complexe trajectoire politique de la Chine, Huang Yasheng s’appuie sur deux concepts renvoyant à la tension entre hétérogénéité (scope) et homogénéité (scale). Pour Huang, les dirigeants chinois ont généralement fait le choix de résoudre cette tension en privilégiant l’homogénéité. Cela, notamment par le biais des examens impériaux et d’instruments méritocratiques contemporains permettant d’homogénéiser l’élite du pays, ses idées, normes et pratiques. Huang s’appuie sur des bases de données conséquentes pour rendre compte de l’évolution technologique sur le long terme et montrer comment ces processus d’homogénéisation ont inhibé l’innovation. Il souligne aussi que les périodes les plus prospères de l’histoire chinoise – la dynastie Tang (618-907) ou la libéralisation des années 1980 – sont celles durant lesquelles le pouvoir a su laisser une relative autonomie aux acteurs sociaux et économiques.

La dichotomie entre scope et scale peut être utile pour comparer le cas chinois à d’autres régions du monde qui n’auraient pas tant misé sur l’homogénéisation. Huang pense notamment à la diversité de l’Inde contemporaine. La simplicité de cette approche se fait toutefois aux dépens de la précision et risque d’aplanir, d’homogénéiser, des situations variées, et donc de sous-estimer la diversité qu’on peut retrouver dans l’État et la société chinois, y compris aujourd’hui.

Au-delà de la démarche de science sociale, qui par définition schématise la réalité, le niveau de simplification de l’ouvrage peut aussi s’expliquer par l’objectif affiché d’alerter les décideurs, y compris en Chine, sur la situation politique du pays. Il met l’accent sur les difficultés actuelles du système politique chinois, présentant Xi Jinping comme un nouvel empereur voulant réimposer l’homogénéité intellectuelle et la dictature du quotidien, à renfort de nouvelles technologies. Si on observe un retour à l’hégémonie du scale, l’équilibre incarné par le sigle EAST est pourtant, pour Huang, en train de se rompre. Ignorer la diversité du pays n’assurerait plus la stabilité politique : la personnalisation du pouvoir et la remise en cause des normes de succession au sommet de l’État-parti rendent l’après Xi Jinping très incertain.

Jérôme Doyon

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