Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Marc Hecker, directeur adjoint de l’Ifri et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Sébastien-Yves Laurent, État secret, État clandestin : essai sur la transparence démocratique (Gallimard, 2024, 360 pages).

Sébastien-Yves Laurent, professeur à l’université de Bordeaux, co-dirige à Sciences Po un séminaire de recherche dédié au renseignement et aux sociétés démocratiques. Son nouveau livre est présenté comme « l’aboutissement de vingt-cinq années de recherches [sur le] couple singulier que forment l’État et le secret aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne ». Autant dire que résumer une telle somme en quelques lignes est une gageure.

L’auteur commence par rappeler qu’à l’origine l’État était secret. Quatre domaines étant plus spécifiquement analysés : les délibérations, les finances, la justice et la statistique. La pensée des Lumières a toutefois remis en cause ces pratiques secrètes, vantant au contraire les mérites de la « publicité ». Cette pensée a traversé l’Atlantique et le temps. Ainsi, Woodrow Wilson déclarait-il en 1910 : « La publicité est l’un des éléments purificateurs de la politique. »

À l’ère de la publicité, l’État secret a dû évoluer. Un des instruments essentiels de cette évolution a été le droit : au fil des décennies, la dimension secrète de l’appareil d’État – que les Anglo-Saxons nomment secrecy – est en effet encadrée par des lois. En 1886, la France se dote par exemple d’une loi sur l’espionnage et, en juillet 1939, un décret-loi crée le « secret de défense nationale ». Des pages passionnantes sont ici consacrées au sujet de la classification, à la tendance à la surclassification et à l’inflation du nombre de personnes habilitées à consulter les documents classifiés. En 2015, aux États-Unis, 5 millions de personnes bénéficiaient d’une accréditation, dont une partie non négligeable de contractors appartenant au secteur privé.

Un nombre si important accroît le risque de fuites. Ce risque est d’autant plus élevé que nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle de la transparence. Sébastien-Yves Laurent explique : « Alors que la publicité a été conçue comme un ensemble de techniques ordonnées à l’opinion, la transparence, qui n’est presque jamais définie par ceux qui en parlent, est un dispositif global assemblant des contraintes pesant sur les acteurs privés à destination des marchés financiers, qui a été étendu à l’État afin de le rendre “transparent”. » Cette tendance – promue par une partie de la société civile, mais aussi par des personnalités politiques de premier plan – a eu des effets concrets, comme l’ouverture croissante des données publiques, mises à disposition sur des plateformes numériques.

Une partie de l’État secret a alors basculé dans ce que l’auteur appelle le « clandestin » : des pratiques pouvant sortir de la légalité, et ne pouvant en tout état de cause être assumées publiquement. Il arrive que des procédés clandestins soient légalisés. La loi sur le renseignement de juillet 2015 a ainsi donné un cadre légal à des méthodes d’enquête qui échappaient jusqu’alors au droit.

Le dernier chapitre de cet essai stimulant est consacré à la dimension secrète de la diplomatie. Sébastien-Yves Laurent analyse plus spécifiquement deux moments historiques de rupture, où des acteurs très différents – les bolchéviques d’un côté, Woodrow Wilson de l’autre – ont promu l’ouverture dans les pratiques diplomatiques. Ces deux tentatives ont fait long feu. Le secret diplomatique fait aujourd’hui face à d’autres défis, comme celui des leaks, chères à Julian Assange ou Edward Snowden.

Marc Hecker

>> S’abonner à Politique étrangère <<