Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Gérard Araud, Israël, le piège de l’histoire (Tallandier, 2024, 208 pages).
Ce nouvel ouvrage, nourri d’une longue expérience diplomatique aux États-Unis et en Israël, nous donne un tableau sans concession tant de la politique israélienne qu’américaine.
Fustigeant les « certitudes obsessionnelles » des Israéliens, soulignant la « fusion mortifère de la religion et d’un nationalisme » et qualifiant le gouvernement de Benjamin Netanyahou de « fasciste », l’auteur estime que l’échec des négociations menées par Barak en 2001 et Olmert en 2008 relevait essentiellement de la responsabilité israélienne.
Il souligne « une entreprise insidieuse de dépossession de la population arabe » de Jérusalem-Est. Quant à la colonisation, elle est « une entreprise de l’État israélien réalisée à la barbe de la communauté internationale », et les colons sont les acteurs d’« un véritable travail de nettoyage ethnique ». Et l’auteur dénonce « un pays travaillé par les forces obscures du racisme et du nationalisme sous l’étendard du messianisme ». La politique américaine est également maltraitée, entre Obama qui ne s’est pas investi et le plan de paix de Trump « si caricaturalement pro-israélien qu’il fut difficile d’y accorder le moindre crédit ». Quant à Joe Biden, il n’a rien fait tout en continuant à apporter un soutien inconditionnel à Israël.
La sévérité de l’auteur s’exerce aussi à l’égard de la politique européenne et de celle de la France, qualifiée de naïve ou irréaliste. Il s’en prend aux tenants de « la politique arabe de la France », qualificatif choisi personnellement par le président Chirac lors de son discours du Caire de mars 1996. Or celle-ci s’est inscrite dans une politique continue depuis 1962. S’agissant de la question palestinienne, une politique équilibrée en faveur de la paix a été menée avec constance et détermination, du général de Gaulle à Jacques Chirac. Cette politique, accompagnée d’une mise en garde sur le risque de « bombe à retardement » que présentait l’absence de solution juste, a été affirmée malgré la volonté des États-Unis et d’Israël d’écarter l’Europe du processus de paix.
Gérard Araud ne désespère pourtant pas de l’avenir, en dépit du traumatisme du 7 octobre et d’une « loi du talion » largement interprétée par une armée israélienne qui revendique la « disproportion » de son action. Paradoxalement, après avoir affirmé qu’« Israël a gagné et les Palestiniens ont perdu », il constate que « le 7 octobre fut peut-être la plus sérieuse défaite stratégique d’Israël » depuis sa fondation. À l’évidence, Israël n’aura gagné que lorsque sa sécurité sera assurée. Pour l’auteur, il faut trouver les moyens de faire coexister les populations arabe et juive sur le territoire de la Palestine historique. Il opte pour la solution des deux États, fait des propositions concrètes, sur l’émergence d’une Autorité palestinienne crédible, sur un engagement des pays arabes, des États-Unis et de l’Europe, sur une initiative française, tout en énumérant les obstacles nombreux. Faudrait-il encore que ces idées soient acceptées par une classe politique israélienne totalement fermée à la perspective de création d’un État palestinien. L’évolution de la politique intérieure israélienne, que connaît bien l’auteur, ancien ambassadeur en Israël, ne permet guère d’être optimiste.
Denis Bauchard
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