Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2024 de Politique étrangère (n° 3/2024). Laurence Badel propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Pierre Grosser, Histoire mondiale des relations internationales de 1900 à nos jours (Bouquins, 2024, 1248 pages).

Fruit de la réflexion d’une équipe d’historiens et de politologues travaillant au Canada et en France, cet ouvrage est la première tentative ambitieuse de renouvellement de l’écriture de l’histoire des relations internationales contemporaines, appliquée à un long XXe siècle. Le découpage décennal conçu par Pierre Grosser s’émancipe à la fois de l’approche événementielle de l’Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, encore rééditée par Jean-Baptiste Duroselle en 1993, et de l’approche chrono-thématique propre à de nombreux autres ouvrages comme le livre coordonné en 2003 par Antony Best, Jussi Hanhimäki, Joseph A. Maiolo et Kirsten E. Schulze, International History of the Twentieth Century and Beyond.

Douze chapitres, encadrés par l’avant-propos, l’introduction et l’analyse des premières années de la décennie 2020 réalisés par le maître d’œuvre – qui a aussi rédigé les chapitres consacrés aux décennies 1980 et 1990 –, livrent une synthèse à jour des nouveaux acquis de la recherche historique à l’aune des approches perceptionniste, transnationale et mondiale, qui ont marqué la discipline depuis une quarantaine d’années. Les chapitres consacrés aux décennies 1910 et 1930 sont particulièrement remarquables. Le livre est assorti d’une bibliographie plurilingue nourrie, alliant titres classiques et nouveaux. Comme tel, le livre s’impose comme la nouvelle synthèse de référence, en langue française, pour les professeurs d’université et de classes préparatoires et leurs étudiants.

Au nombre des thèmes bien mis en perspective figurent le rôle matriciel des conférences de La Haye dans la délégitimation croissante de la guerre d’agression, la reconnaissance de la place nouvelle des sociétés civiles et de leurs organisations privées aux côtés des acteurs gouvernementaux, le rôle des paradiplomaties et des fondations philanthropiques, l’inscription des réseaux atlantistes sur la longue durée, les nouveaux usages de la neutralité et les formes nouvelles du terrorisme au XXe siècle, la question des réfugiés et des déplacés, ainsi que le nécessaire rééquilibrage des places respectives des grandes régions du monde (Afrique, Amérique latine, Eurasie) dans cette histoire.

Le spécialiste regrettera que Pierre Grosser, qui a consacré un livre aux temps de la guerre froide, développe insuffisamment dans l’introduction la réflexion sur « le découpage décennal et les moments charnière ». Le choix assumé de continuer à lire les relations internationales comme un rapport de puissances conduit la majorité des auteurs à une analyse « par le haut » des relations internationales, sans que la question des interactions entre les mobilisations de la société civile et les inflexions des politiques intergouvernementales soit véritablement posée comme un autre fil conducteur possible du livre, périodisée et traitée sur la durée du XXe siècle. On aurait aussi apprécié une harmonisation préalable des concepts employés par les auteurs (celui d’« Eurasie » n’est pas commun à tous) et une entente préalable sur les va-et-vient avec l’actualité immédiate (auxquels se prête, par exemple, Andrew Barros pour expliquer la politique ukrainienne de la Russie et de la Pologne de 2022). Il n’en demeure pas moins que le livre dans son ensemble et ses trois derniers chapitres (décennies 1990, 2000 et 2010), qui ne peuvent être fondés sur archives, réussissent le tour de force de proposer une synthèse riche, argumentée et documentée renouvelant notre approche du siècle écoulé.

Laurence Badel

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