Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2024 de Politique étrangère (n° 3/2024). Anthony Guyon propose une analyse de l’ouvrage Sten Rynning, NATO: From Cold War to Ukraine, a History of the World’s Most Powerful Alliance (Yale University Press, 2024, 368 pages).

Le 4 avril 2024, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) fêtait ses 75 ans. Si en 2019 le président Emmanuel Macron déclarait l’organisation en « état de mort cérébrale », l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine avait redonné vie à sa vocation défensive. Sten Rynning retrace sa longue histoire, en réfléchissant à son futur. Pour cela, il s’appuie sur deux décennies de travail et l’étude de nombreuses archives déclassifiées, les documents de l’OTAN n’étant accessibles qu’après trente ans et avec l’accord des États alliés.

L’auteur ouvre son étude en 1939-1941 : Washington, et plus particulièrement Franklin Delano Roosevelt, définissent un nouveau paradigme où les États-Unis sortent progressivement de leur isolationnisme. Le changement prend forme avec la Charte de l’Atlantique et l’entrée en guerre au lendemain de Pearl Harbor.

L’OTAN est ici présentée en quatre chapitres et sous forme cyclique, les diverses phases étant marquées par l’ambition, ou par le reflux. L’année 1949 marque un premier temps d’ambition : le bloc de l’Ouest met en place face à l’URSS une organisation regroupant douze pays partageant le même espoir de paix et de liberté, dans le cadre d’une alliance atlantique. La fin de l’Union soviétique constitue le deuxième moment : l’OTAN affirme de nouvelles prétentions, en dépit de l’écart qui sépare les ambitions affichées de la réalité. Ces moments contrastent avec des périodes plus complexes comme les années 1960 et 1970, phases de stagnation.

Par ailleurs, une question se pose en filigrane depuis sa naissance : que doit être l’OTAN ? Une organisation atlantique dominée par les États-Unis ou une communauté dans laquelle les Européens affirmeraient peu à peu leur indépendance vis-à-vis de Washington ? Question d’actualité durant le mandat Trump et à l’aube de son potentiel retour.

L’ouvrage propose aussi une autre lecture du second XXe siècle : la crise du canal de Suez, les relations avec De Gaulle ou encore l’Ostpolitik sont ainsi analysées au prisme de l’OTAN. Le lecteur appréciera toute la subtilité de Sten Rynning quand il retrace la crainte russe de voir l’Europe de l’Est rejoindre l’OTAN au lendemain de la guerre froide, alors que les États-Unis espèrent voir Moscou suivre le modèle allemand d’après 1945. L’auteur relève notamment que les présidents Bush et Clinton n’ont pas assez pris en compte la Russie dans leur système géopolitique. Dans le même temps, Evgueni Primakov, alors ministre des Affaires étrangères russe, forgeait la doctrine éponyme dont l’un des trois piliers était un droit de regard russe sur les anciens pays soviétiques. Une partie des cadres politiques russes sont encore sincèrement convaincus d’avoir reçu de Washington la garantie que l’OTAN ne s’étendrait pas vers l’est.

Le dernier chapitre s’inscrit dans l’actualité, l’auteur y soulignant la volonté, et la capacité, de l’OTAN à répondre à Poutine. L’OTAN vit à nouveau un moment décisif et deux chemins s’offrent à elle. Soit elle se tourne davantage vers une Chine de plus en plus audacieuse, soit elle poursuit son approfondissement en Europe tout en repensant l’équilibre entre l’engagement de Washington et celui des Européens. Si Sten Rynning plaide pour cette dernière option, la réponse se trouve probablement entre les deux, du fait des « effets de bord » (Thomas Gomart) connectant les champs de confrontation.

Anthony Guyon

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