Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Vincent Pouliot et Jean-Philippe Thérien, Comment s’élabore une politique mondiale. Dans les coulisses de l’ONU (Presses de Sciences Po, 2024, 306 pages).

On pourrait penser qu’on nous invite ici à un « voyage en Onusie », pour reprendre le joli titre du livre de Philippe Ben auquel Alain Dejammet, représentant français à l’ONU à la fin des années 1990, consacra un supplément (Fayard, 2003). Il ne faut pourtant pas attendre des deux politistes qu’ils nous livrent les secrets des coulisses de l’ONU ou du fonctionnement quotidien de l’organisation internationale. Leur ouvrage a plus de hauteur.

Il essaie de répondre à la question que pose son titre et de battre en brèche une idée reçue : à rebours de ce que la théorie rationaliste professe, il existerait un ensemble de solutions techniques permettant de résoudre les problèmes mondiaux une fois pour toutes. Pour les deux chercheurs, tout est politique. Et toute politique mondiale est le produit imparfait d’arbitrages contingents entre des visions politiques concurrentes. Aussi reprochent-ils à l’approche en termes de biens publics mondiaux de dépolitiser ces enjeux, et récusent-ils l’image lissée d’un monde gouverné par des experts tendant vers un optimum parétien.

Selon eux, la politique mondiale résulte d’un bricolage – l’expression est empruntée à Claude Lévi-Strauss –, d’un « dépatouillage collectif » (Charles Lindblom). L’argument a un vice : il incite à la paresse. Puisque tout est politique, puisque tout est contingent, puisque l’élaboration de chaque politique est unique, à quoi bon l’analyser ? Pouliot et Thérien ne cèdent pas à ce biais. Ils déploient un cadre méthodologique robuste fondé sur deux concepts simples : la pratique et les valeurs.

Ils appliquent ce cadre à l’étude de trois initiatives onusiennes : l’adoption des Objectifs de développement durable en 2015 ; l’institutionnalisation du Conseil des droits de l’homme à partir de 2005 ; l’accent mis sur la protection des civils dans les opérations de maintien de la paix.

Ils tirent de ces études des conclusions éclairantes. La première est l’identification de dix tendances dans les politiques mondiales contemporaines : la souveraineté comme clé de voûte toujours valide malgré ses remises en cause ; l’attention plus grande donnée aux individus, érigés en sujets de droit ; l’universalisation des aspirations ; une approche plus holistique des politiques ; le rôle d’orchestration joué par les organisations internationales ; des politiques plus inclusives ; le rôle central des experts ; la résilience du clivage Nord-Sud ; et l’hégémonie occidentale, toujours persistante.

La seconde est une cartographie particulièrement stimulante des politiques mondiales autour de deux axes : un axe gauche-droite sur lequel les politiques sont situées selon qu’elles donnent la priorité à la solidarité, aux questions sociales, à la justice, ou bien à la liberté individuelle, la croissance économique et l’ordre, ainsi qu’un axe mondialiste-souverainiste fonction du degré d’internationalisation des politiques. Ce double axe définit quatre segments aisément identifiables : des mondialistes de droite (l’Amérique tendance Bush fils) ou de gauche (l’Union européenne) et des souverainistes de droite (l’Amérique tendance Trump) ou de gauche (la Chine ou la Russie)

Cet ouvrage cumule deux qualités rares : il est d’une grande exigence intellectuelle, qui convoque la théorie des sciences politiques, et reste d’une grande lisibilité. Il est de ces livres, précieux, dont la lecture rend plus intelligent.

Yves Gounin

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