Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études pour les relations franco-allemandes à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d‘Ilko-Sascha Kowalczuk, Freiheitsschock. Eine andere Geschichte Ostdeutschlands von 1989 bis heute (C. H. Beck, 2024, 240 pages).

L’historien Ilko-Sascha Kowalczuk revient ici sur l’histoire de l’Allemagne de l’Est depuis 1989. Dans son plaidoyer pour la liberté et la responsabilité individuelle, l’auteur explique comment l’Allemagne de l’Est s’est développée depuis 1989 et pourquoi, malgré le succès de la « révolution pacifique » de 1989-1990, c’est dans cette partie de l’Allemagne que le modèle de la démocratie libérale risque de s’effondrer. L’historien s’appuie sur des décennies de recherche, d’analyse et de publications antérieures, parmi lesquelles Die Übernahme (2019), Endspiel (2009), ou plus récemment une biographie du dirigeant communiste est-allemand Walter Ulbricht en deux volumes, parus en 2023 et 2024 (la première biographie scientifique consacrée au personnage).
Le « choc de la liberté » n’est cependant pas un livre d’histoire au sens strict, même si l’histoire explique la genèse de certaines situations. Il s’agit plutôt d’un essai actuel et personnel, un plaidoyer fulminant pour la liberté, loin de la culture de la rancœur et du rôle de victime, un rejet clair des forces anti-occidentales et illibérales. Le livre est d’ailleurs alimenté par des émotions, notamment sa propre « colère », s’inscrivant en cela dans un paradigme historiographique actuel.
C’est en s’appuyant sur cette image de soi que Kowalczuk justifie la thèse centrale de son livre, selon laquelle de nombreux Allemands de l’Est, contrairement à lui, n’auraient pas vécu le saut vers la liberté en 1989-1990 comme une libération, ne l’auraient pas ressenti comme le « choc de la liberté ». L’auteur explore donc dans son essai des questions qui s’imposent : pourquoi la société est-allemande semble-t‑elle si divisée ? Comment expliquer la haine débridée sur les réseaux sociaux ? D’où vient la forte affinité avec des forces comme l’AfD ou le BSW, parfois avec une proximité flagrante avec Poutine, l’hostilité à la démocratie et la glorification de la dictature ?
En trois parties et vingt chapitres qui se recoupent thématiquement, dans l’esprit d’un essai fluide mais cohérent sur le plan argumentatif, Kowalczuk retrace les influences d’avant 1989, puis les attentes liées à la réunification, enfin le positionnement de nombreux Allemands de l’Est en 2024. Selon lui, les conséquences d’une « tradition anti-liberté » et d’une socialisation au sein d’une dictature comme en RDA, transmises aussi par les familles, sont encore visibles aujourd’hui, par exemple sous la forme d’un grand « nombre de personnes qui errent plus ou moins à travers la démocratie ».
L’auteur décrit comment le parti d’extrême droite AfD, parti nationaliste et raciste, parvient à se rattacher à des sensibilités non traitées à l’Est en s’appuyant sur des images dichotomiques du monde et de l’ennemi (« Nous ici en bas, eux en haut »). Il affirme aussi que le BSW de Sahra Wagenknecht est « un parti frère de l’AfD sur le plan programmatique », sa dirigeante étant pour lui « une personne qui propage des récits russes sans s’émouvoir et qui s’en prend à l’Ukraine sans la moindre empathie, une anti-américaine effrénée de surcroît ».
La conclusion pourrait être la volonté indiquée clairement par Kowalczuk de ne pas abandonner le concept de liberté, souvent capté par les autoritaires, aux extrémistes de droite, surtout sous la forme de l’AfD.
Paul Maurice
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