Cette recension a été publiée dans le numéro d‘été 2025 de Politique étrangère (n° 2/2025). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Henry Laurens, Question juive, problème arabe (1798-2001) (Fayard, 2024, 756 pages).

Cet ouvrage est un « condensé », accompagné de mises à jour, des cinq volumes publiés par Henry Laurens sur « la question de Palestine » de 1999 à 2015. Si la question palestinienne avait largement disparu de l’actualité, la tragédie du 7 octobre 2023 confirme la sensibilité d’un conflit dont la solution apparaît de plus en plus difficile

Avant même la création de l’État d’Israël en 1948, il est apparu que la question juive serait également un problème arabe. L’auteur évoque la façon dont, dès novembre 1929, Ben Gourion apporte la contradiction à l’association Brit Shalom, qui réunit des intellectuels partisans d’un État palestinien binational, en soulignant que le sionisme a pour vocation de créer un État juif en Palestine qui devra s’accommoder d’une présence arabe. Déjà, l’existence d’un peuple palestinien est récusée par celui qui deviendra le premier Premier ministre du futur État, alors même que la population juive était encore très minoritaire, de l’ordre de 15 %. À cet égard, la position des dirigeants israéliens, de droite comme de gauche, n’a pas varié.

L’ouvrage décrit l’histoire croisée des populations juive et arabe, et des occasions manquées, tant sous le mandat britannique que depuis la création de l’État d’Israël, qui n’ont pas permis la coexistence des deux peuples sur un même territoire. La paix est notamment apparue possible, souligne Henry Laurens, en 1993 et 1999.

L’auteur montre ainsi comment Yitzhak Rabin a été le premier responsable israélien à chercher un compromis avec les Palestiniens. Mais les accords d’Oslo conclus en 1993 contenaient eux-mêmes les germes de leur échec. Ils étaient en effet déséquilibrés : si Arafat reconnaissait l’État d’Israël, Rabin constatait seulement que l’OLP, jusque-là qualifiée de mouvement terroriste, était le représentant du « peuple palestinien » sans aucun engagement sur la perspective d’un État. Bien au contraire, il n’envisageait qu’une « entité autonome ». En fait, les accords d’Oslo n’ouvraient qu’un processus de négociation, sans gel de colonies, lesquelles sont très vite apparues comme des « obstacles à la paix ».

Une autre occasion manquée fut celle de Camp David en 1999, sous la médiation du président Clinton. Les négociations se déroulèrent dans une grande confusion et butèrent sur la question de Jérusalem, et plus spécialement sur le statut du Haram Al-Charif et de Jérusalem « capitale indivisible » d’Israël. La visite provocatrice d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées et l’échec électoral d’Ehoud Barak devaient interrompre le processus de paix, qui n’a jamais repris depuis lors.

L’auteur s’interroge sur les causes de ces revers, la confiance n’ayant jamais pu s’établir entre les négociateurs. Les positions fluctuantes d’Arafat et son double discours ont desservi sa crédibilité. De leur côté, les États-Unis ont agi moins en honest broker qu’en soutien indéfectible des positions israéliennes. Le pilote des négociations, Dennis Ross, porte à cet égard une lourde responsabilité. Le jeu mortifère du Hamas et du Djihad islamique a achevé de tuer le processus.

Cet ouvrage permet de mieux comprendre un conflit qui demeure central au Moyen-Orient, en dépit des victoires tactiques remportées par Israël sur le Hamas et le Hezbollah. Il reste à écrire l’histoire qui s’étend de l’échec de Camp David jusqu’à aujourd’hui, ce à quoi pense à l’évidence l’auteur.

Denis Bauchard

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