Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Amélie Zima, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose ici une analyse de l’ouvrage de Keir Giles, Who Will Defend Europe? An Awakened Russia and a Sleeping Continent (Hurst, 2024, 280 pages).

L’ouvrage de Keir Giles, expert des forces armées russes, a pour ambition d’analyser les moyens de dissuader la Russie d’étendre la guerre en Europe au-delà de l’Ukraine.
Pour appuyer son propos, l’auteur établit trois postulats. Le premier est qu’il n’existe pas de solution négociée au conflit en Ukraine, étant donné que les buts de guerre russes visent à la destruction de l’État ukrainien. En sus de la préparation des armées et des populations, la meilleure garantie de sécurité pour l’Occident serait donc d’aider massivement l’Ukraine. A contrario, l’incapacité à le faire aurait un effet néfaste : la perte de crédibilité de l’Occident, incapable de défendre ses valeurs. Le deuxième postulat est que la Russie est encouragée par la faiblesse, et ne pourra être stoppée que par une force militaire crédible. Le troisième est que la confrontation entre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et la Russie est inégale. Cette dernière n’a pas besoin de disposer de forces équivalentes à celles de l’OTAN : il lui suffit de tester la validité de l’article 5 et de persuader les États membres de l’Alliance que le coût de la confrontation serait exorbitant.
Pour faire face à l’éventualité d’un conflit, Keir Giles examine les degrés de préparation des armées et des populations de différents États de l’OTAN. Il estime que les États européens sont divisés en deux groupes. Ceux situés à l’ouest de Varsovie se sentent protégés par l’éloignement de la Russie, et ne prennent pas vraiment la menace au sérieux. A contrario, les États d’Europe centrale, les Baltes, les Scandinaves et le Royaume-Uni en considèrent sérieusement le caractère imminent et s’y préparent en investissant dans la défense et la résilience des sociétés. Ces États ont donc un rôle crucial à jouer dans la politique de défense européenne et doivent favoriser, notamment sous la houlette de la Pologne, un changement de l’approche occidentale du conflit. Un changement est en effet nécessaire : les États occidentaux doivent comprendre que la politique de dissuasion à l’égard de la Russie, étant donné l’évolution du pays, se jouera à long terme.
Publié à l’été 2024, le livre évoque néanmoins les conséquences possibles de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, tout en analysant les atermoiements de l’administration Biden en matière d’aide à l’Ukraine. Au-delà des États-Unis, l’intérêt de l’ouvrage est d’étudier une grande diversité de pays, même s’il existe une certaine disparité de traitement puisque certains font l’objet d’un chapitre (États-Unis et Royaume-Uni), d’autres de sous-parties (France, Allemagne et Pologne) et certains de quelques paragraphes, comme le Canada.
Pour appuyer sa démonstration, Keir Giles aurait pu développer le rôle des industries de défense, primordial pour le réarmement. De même, les analyses sur la résilience pâtissent d’une perspective top–down. Enfin, les développements internes à la Russie sont largement ignorés, tels les problèmes démographiques ou encore l’exil massif de plus d’un million de personnes depuis février 2022.
Cet ouvrage a le mérite de constituer une synthèse résumant avec efficacité et lucidité l’état des connaissances sur un conflit qui se prépare à entrer dans sa quatrième année, et qui aura durablement transformé l’architecture de sécurité européenne.
Amélie Zima
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