Étiquette : agences de notation

Comment fonctionnent les agences de notation ?

Lors de la présentation du numéro du printemps 2012 de Politique étrangère à la librairie Pedone, Norbert Gaillard (docteur en économie, Sciences Po et Princeton) explique le fonctionnement des agences de notation.


Comment fonctionnent les agences de notation ? par Ifri-podcast

Pour vous abonner à la revue Politique étrangère, rendez-vous sur le site de La Documentation Française.

Agences de notation : quatre questions à Norbert Gaillard

Norbert Gaillard, docteur en économie (Sciences Po / Princeton), est l’auteur de l’ouvrage A Century of Sovereign Ratings (Springer, 2011). Il contribuera au n° 1/2012 de Politique étrangère, à paraître en mars. En attendant la parution de son article, il répond à quatre questions sur les agences de notation, en exclusivité pour le blog de Politique étrangère.

Quelle est la genèse des agences de notation ?

La notation financière est apparue il y a un siècle. À l’époque, un nombre croissant de titres obligataires sont émis sur les marchés financiers américains par des entreprises industrielles et des compagnies de chemin de fer. Les banques et les fonds d’investissement ont de plus en plus de difficultés à déterminer la qualité de crédit de ces sociétés. John Moody, journaliste spécialisé dans les questions économiques et financières, est conscient du relatif désarroi des investisseurs. Il décide donc en 1909 d’attribuer des notations (ou ratings) aux compagnies de chemin de fer : l’agence Moody’s est née. Ces notations vont de Aaa pour les entreprises dont la solvabilité est très forte, à C ou D pour celles qui sont en défaut de paiement. Moody’s se met ensuite à noter les entreprises industrielles et celles du secteur public utility au début des années 1910, puis les États étrangers et collectivités locales du monde entier à partir de 1918. Le succès est au rendez-vous et trois concurrents émergent rapidement : Standard Statistics, Poor’s (qui fusionneront en 1941 pour former Standard & Poor’s) et Fitch.
Il faut bien comprendre que le développement de la notation est indissociable de l’essor des marchés financiers ; c’est pourquoi les agences connaissent une explosion de leur chiffre d’affaires et de leurs profits depuis les années 1980. En 2010, la marge opérationnelle de l’agence Standard & Poor’s a atteint le pourcentage impressionnant de 45 %.

Comment et pourquoi les agences de notation ont-elles acquis une telle importance ?

Les agences ont d’abord bénéficié de la confiance des investisseurs qui ont vu dans la notation financière un outil pratique et bon marché les aidant à faire des arbitrages judicieux sur les marchés. Les ratings leur évitaient également d’avoir à mener leur propre analyse du risque de crédit. À partir de 1931, les notations ont été intégrées dans les réglementations financières. Ce processus de delegated monitoring, qui a contribué à faire des grandes agences des quasi-régulateurs, s’est accéléré au cours des années 1980, 1990 et 2000. Il a rendu les notations de Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s véritablement incontournables et a partiellement déresponsabilisé les investisseurs. Ces réglementations faisant référence aux notations peuvent prendre plusieurs formes. Il s’agit soit de règles qui limitent, voire interdisent, l’achat ou la détention de titres notés en dessous d’un certain rating ; soit de normes qui exigent des fonds propres d’autant plus élevés que les notations des titres détenus en portefeuille sont basses.
La crise des subprimes de 2007 a profondément ébranlé la confiance que les investisseurs et les régulateurs avaient dans la notation financière. Depuis lors, les législateurs américains et européens ont décidé de mieux encadrer l’activité des agences, contrôlant en particulier leurs méthodes de travail.

Comment se fait-il que Standard & Poor’s ait dégradé la note de la France alors que Moody’s a maintenu son AAA ?

Les notations de Standard & Poor’s sont traditionnellement plus corrélées aux indicateurs de marché (tels que les taux d’intérêt ou les spreads de taux) que celles de Moody’s et de Fitch. Cette spécificité des ratings de Standard & Poor’s l’a conduite à être un peu plus intransigeante que ses deux concurrentes. Standard & Poor’s fut la première agence à dégrader la Grèce en 2004, la première à la placer dans la catégorie spéculative en avril 2010, puis la première à dégrader les États-Unis en août 2011 et encore et toujours la première à dégrader la France en janvier 2012. Moody’s et Fitch ont été plus « suiveuses ».
L’abaissement de la note de la France par Standard & Poor’s a plusieurs causes. D’abord, l’agence regrette que la Banque centrale européenne (BCE) n’ait pas un rôle plus actif, comme celui de la Federal Reserve aux États-Unis. L’impossibilité pour la BCE d’être prêteur en dernier ressort affaiblit, selon Standard & Poor’s, la solvabilité de l’ensemble des États de la zone euro, à l’exception de l’Allemagne. Ensuite, la France souffre d’un manque de compétitivité et son marché du travail est considéré comme insuffisamment flexible. L’endettement public est en outre jugé élevé. Enfin, les perspectives de croissance du produit intérieur brut (PIB) pour 2012 sont sombres.
Moody’s maintient le Aaa de la France, préférant mettre l’accent sur les réformes entreprises depuis plusieurs années et sur la capacité du pays à se refinancer à des taux très bas.

Quelles mesures la France doit-elle prendre pour voir sa note réévaluée ?

La France ne récupèrera pas son AAA facilement. Il a fallu respectivement onze ans et seize ans à la Suède et à l’Australie pour le récupérer. Notre pays doit engager des réformes structurelles de moyen-long terme : lancer une refonte du système de retraites (via l’allongement de la durée de cotisation) ; flexibiliser le marché du travail (en annualisant le temps de travail et en instaurant le chômage partiel) ; réorganiser notre structure administrative ; réduire les dépenses publiques ; soutenir le capital-risque et l’innovation ; aider les petites et moyennes entreprises (PME) à exporter.
Notre système fiscal doit également être amélioré, car il demeure inefficace et inégalitaire. Il faudrait par exemple fusionner l’impôt sur le revenu et la cotisation sociale généralisée (CSG) et rendre ce nouvel impôt plus progressif ; réduire l’impôt sur les sociétés ; favoriser l’entrepreneuriat ; taxer les rentes ; supprimer de nombreuses niches fiscales. Ces mesures permettront de libérer la croissance et contribueront à améliorer notre compétitivité.

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén