Auteur de l’article « La Turquie entre stabilité et fragilité » paru dans le numéro de printemps 2016 de Politique étrangère (1/2016), Aurélien Denizeau, doctorant en histoire et sciences politiques à l’INALCO, et ancien stagiaire du Programme Turquie de l’Ifri, a accepté de répondre à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.
1) Comment peut-on expliquer les mesures de plus en plus autoritaires adoptées par le gouvernement turc ?
Le triomphe de l’AKP et de Recep Tayyip Erdogan aux élections législatives anticipées du 1er novembre 2015 leur a redonné une légitimité qui paraissait remise en cause depuis quelques années. Ils ont une vaste majorité parlementaire, et sont au pouvoir au moins jusqu’en 2019, ce qui leur offre une très grande marge de manœuvre.
Dans le même temps, l’intensification des violences internes liées à la question kurde est utilisée par le gouvernement pour justifier son autoritarisme. Chaque nouvelle attaque terroriste du PKK (ou des milices qui lui sont liées, comme les TAK) est l’occasion pour Erdoğan de s’en prendre à l’opposition parlementaire (notamment au parti HDP), aux journalistes qui lui sont hostiles, aux avocats qui les défendent, etc. Il n’a pas hésité à menacer la Cour constitutionnelle quand elle a fait relâcher deux journalistes d’opposition. Le contexte de violence profite donc au gouvernement turc, en enfermant l’opposition dans un choix binaire : « Vous êtes avec nous, ou vous êtes avec les terroristes. »
Tout se passe comme si l’AKP sentait qu’il a désormais tous les atouts en main et que le moment est venu d’intensifier son contrôle sur la société. En cela, il s’inscrit dans une vieille tradition politique en Turquie, où le parti au pouvoir (quel qu’il soit) a toujours tendance à se considérer comme « propriétaire » légitime du pays. Et comme il est démocratiquement élu, l’AKP considère sa légitimité comme indiscutable : ceux qui le critiquent sont accusés de s’opposer au choix du peuple, donc à la démocratie.
2) Quelles sont les principales lignes de fracture qui traversent la société turque ?
Un premier clivage, assez clairement marqué, est celui qui oppose les soutiens d’Erdogan à ses opposants. Ce n’est pas un clivage symétrique, car le président est soutenu par un bloc assez identifiable, le petit peuple d’Anatolie profonde et les classes moyennes conservatrices représentées par le parti AKP ;
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