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Il n’y a pas de « Question d’Orient » : Trois questions à Georges Corm

Georges Corm, professeur à l’Institut des sciences politiques de l’université Saint-Joseph à Beyrouth et auteur de l’article « La Première Guerre mondiale et la balkanisation du Moyen-Orient » paru dans le numéro de printemps 2014 de Politique étrangère, a accepté de répondre à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.

Sykes-Picot1) Dans votre article, vous critiquez la manière dont la France et le Royaume-Uni ont géré l’effondrement de l’Empire ottoman. Quelles ont été les principales erreurs commises ?

La critique est la moindre des choses lorsque l’on voit le gâchis humain, en termes de génocides et de déplacements forcés de population, qui a résulté de la liquidation de l’empire ottoman. Celle-ci a été planifiée par les deux puissances victorieuses de la guerre de 1914-1918 et inscrite dans le traité de Sèvres de 1920, qui n’a jamais pu être appliqué. Ce traité irréaliste prévoyait la fragmentation du territoire anatolien, centre historique de l’empire, en différentes entités non turques (arméniennes, kurdes, assyrienne, grecque et italienne). La réaction militaire foudroyante de Kemal Atatürk a fait échouer ce projet que les armées française et anglaise, épuisées, n’avaient pas les moyens de concrétiser par la force. Il eût été bien plus sage de préconiser et d’aider à mettre en place en Anatolie une fédération ou un autre régime politique accommodant la très grande diversité de peuplement de l’Anatolie de l’époque – des peuples qui avaient par ailleurs fort bien vécu ensemble durant des siècles.

NATO in Afghanistan. Fighting Together, Fighting Alone

NATOCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Alice Pannier propose une analyse de l’ouvrage de David P. Auerswald et Stephen M. Saideman, NATO In Afghanistan. Fighting Together, Fighting Alone (Princeton, NJ, Princeton University Press, 2014, 280 pages).

L’objectif de l’ouvrage de David Auerswald et Stephen Saideman est de nous expliquer les variations dans les participations des États aux opérations en Afghanistan sur la période 2006-2010. Cet ouvrage est une contribution à la littérature à la fois sur les alliances, sur les relations civilo-militaires et sur le lien entre politique intérieure et politique étrangère. Il est d’une grande richesse empirique et vient compléter de manière originale et utile le corpus existant sur le conflit afghan et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).

Les auteurs nous éclairent d’abord sur la manière dont s’exerce le contrôle national sur les forces militaires, démontrant que les interventions alliées se jouent dans les capitales des États participants, « plus qu’à Bruxelles ou à Kaboul ». Les auteurs utilisent l’approche du principal-agent, c’est-à-dire qu’ils étudient la relation entre le détenteur de l’autorité et le ou les acteurs(s) à qui celle-ci est déléguée, en l’occurrence le commandant des opérations et/ou le ministre de la Défense. Selon cette approche, l’Alliance et les États constituent autant de « principaux », le premier collectif, les autres individuels, ce qui donne lieu à des relations principal-agent « hybrides ». La simplicité de la relation à l’État lui assure la prééminence sur le principal collectif, la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) : les décisions nationales importent donc plus que celles de l’OTAN.

The Shadow of the Past. Reputation and Military Alliances before the First World War – Militarism in Global Age

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Jérôme Marchand propose une analyse des ouvrages de Gregory D. Miller, The Shadow of the Past. Reputation and Military Alliances before the First World War, (Ithaca, NY, Cornell University Press, 2012, 248 pages) et de Dirk Bönker, Militarism in Global Age. Naval Ambitions in Germany and the United States before World War I (Ithaca, NY, Cornell University Press, 2012, 432 pages).

ShadowBien qu’ils couvrent la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle, ces deux ouvrages ne sont en rien de simples chroniques du temps passé. Leurs auteurs ont exploité une masse considérable d’archives, de témoignages et d’analyses. Pour autant, ils ne se sont pas contentés de bricoler un récit restituant les interrogations des grandes puissances de la Belle Époque. Ils ont aussi su mobiliser un appareil conceptuel sophistiqué, faisant place aux questionnements récents des sciences sociales. The Shadow of the Past, de Gregory D. Miller, examine le rôle que tient la réputation dans la gestion des rapports interétatiques, avec un intérêt particulier pour l’impact de la fiabilité (« Vu ses agissements passés, tel État-nation paraît-il enclin à tenir ses engagements ou à les renier ? ») sur la formation et l’évolution des alliances militaires. Concrètement, l’auteur passe en revue l’abandon par la Grande-Bretagne de sa politique de splendide isolement (1901-1905), la crise de Tanger (1905-1906), la crise bosniaque (1908-1909) et la crise d’Agadir (1911). L’impression d’ensemble ? L’ouvrage brasse quantité de réflexions théoriques. Il esquisse des pistes stimulantes pour appréhender le capital réputationnel des entités étatiques – pas d’analyse pointue si on ne prend soin de différencier l’image du régime, celle des dirigeants gouvernementaux en place et celle du parti dominant – et conceptualiser les grilles d’évaluation déterminant leur pouvoir d’attraction et leur palette de partenaires potentiels. Cependant, Gregory Miller a éprouvé beaucoup de difficultés à se dégager de l’emprise de Jonathan Mercer et de son magistral Reputation and International Politics (Cornell University Press, 1996). D’où un sentiment d’inachevé.

Juli 1914. Eine Bilanz

54e7202205Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Hans Stark propose une analyse de l’ouvrage de Gerd Krumeich, Juli 1914. Eine Bilanz (Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2014, 362 pages).

Historien, auteur de nombreux ouvrages sur la Première Guerre mondiale, cofondateur de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, Gerd Krumeich livre une analyse extrêmement riche et minutieuse de la crise de juillet 1914, complétée par 50 « documents clés » choisis par l’auteur. Son ouvrage s’appuie sur un très grand nombre de documents, mais aussi sur les ouvrages publiés après la Grande Guerre (Renouvin, Fay, Schmitt, Albertini), après la Seconde Guerre mondiale (Fischer, Mommsen), ainsi que sur les études plus récentes (Mombauer, Joll, Clark, etc.) consacrées à l’origine de la guerre.

Krumeich réfute les thèses de Fritz Fischer selon lesquelles le Reich a provoqué la Grande Guerre afin d’exercer son hégémonie sur l’Europe, voire sur le monde. Mais il s’inscrit aussi en faux contre les thèses de Christopher Clark pour qui les Européens se seraient laissé entraîner dans le conflit bien malgré eux. Alors que, selon Clark, les responsabilités dans l’éclatement de la Grande Guerre sont largement partagées, Krumeich démontre que l’Allemagne assume une responsabilité, certes non pas unique, mais néanmoins écrasante. Se sentant « encerclé » par une alliance hostile formée par Londres, Paris et Moscou – alliance qui était elle-même une réponse au comportement militariste allemand, Berlin aurait sciemment utilisé l’attentat de Sarajevo pour débarrasser l’Autriche-Hongrie de la menace serbe et, surtout, pour tester les intentions véritables de la Russie. La montée en puissance militaire de cette dernière avait suscité à Berlin des craintes si fortes que ce « test » semblait indispensable. D’après ce calcul, au mieux, la Russie devait se tenir à l’écart d’un conflit austro-serbe – ce qui eût permis en même temps d’affaiblir l’alliance franco-russe. Au pire, l’entrée en guerre de Moscou devait permettre aux Allemands, convaincus que le conflit avec la Russie était de toute façon inéluctable, d’en découdre avec cette dernière avant l’achèvement du programme d’armement russe que Berlin prenait très au sérieux. En revanche, les Allemands ont très fortement sous-estimé les capacités militaires de la France et sa force de résistance.

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