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Histoire secrète de la crise irakienne. La France, les États-Unis et l’Irak, 1991-2003

IrakCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Fréderic Bozo, Histoire secrète de la crise irakienne. La France, Les États-Unis Et l’Irak, 1991-2003, (Paris, Perrin, 2013, 416 pages.)

Cet ouvrage présente une analyse fouillée de l’affrontement entre la France et les États-Unis sur la crise irakienne, jusqu’au paroxysme du discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité des Nations unies, qui donna lieu à un French bashing largement manipulé par l’administration Bush.

D’emblée, l’auteur indique essayer de répondre aux multiples interrogations sur les causes d’une intervention des États-Unis en Irak qui conduira à un des plus grands fiascos de la politique étrangère américaine de l’après-guerre, « une erreur – ou une faute – stratégique aux proportions monumentales » pour reprendre ses termes.

Très vite après le 11 septembre apparaît l’idée d’une attaque contre l’Irak, alors qu’aucun élément sérieux n’existe sur l’implication de Saddam Hussein dans cette tragédie. L’influence des néoconservateurs, notamment de Paul Wolfowitz, qui pousse le président dans cette voie dès 2001, a joué un rôle décisif. La stratégie définie par l’administration Bush de « guerre contre le terrorisme » établit un lien entre l’acquisition d’armes de destruction massive et le terrorisme, conduisant à une véritable manipulation des faits. Le climat émotionnel qui suit le 11 septembre explique qu’une intervention en Irak apparaisse très vite comme inéluctable : « la culpabilité, la colère, la peur » animent les décideurs américains et l’opinion américaine craint un nouvel attentat d’envergure.

Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle

Traiter avec le diableCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Thomas Gomart propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Grosser, Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au xxie siècle, (Paris, Odile Jacob, 2013, 368 pages).

Historien des relations internationales reconnu pour la qualité et la densité de ses travaux sur la guerre froide, enseignant à Sciences Po, Pierre Grosser s’est également frotté aux pratiques diplomatiques comme directeur des études de l’Institut diplomatique et consulaire (IDC) du ministère des Affaires étrangères (2001-2009). Il nous livre un essai ambitieux sur la raison d’être de la diplomatie : parler avec l’ennemi. L’auteur s’interroge ainsi sur les processus de diabolisation de l’adversaire et les impasses auxquels ces derniers conduisent le plus souvent. Il entend identifier les « prismes cognitifs » qui bloquent la relation à l’autre une fois celui-ci diabolisé : « Il s’agit de mettre le doigt sur les perceptions et les raisonnements qui, loin d’éclairer l’action politique, l’entraînent sur des voies potentiellement dangereuses ».

Le plus court chemin vers la diabolisation est l’assimilation à la figure de Adolf Hitler. Référence obsédante, le masque de Hitler fut posé sur Joseph Staline, Gamal Abdel Nasser, Slobodan Milošević ou, plus récemment, Mahmoud Ahmadinejad. Considérée comme la « bonne guerre » par excellence, la Seconde Guerre mondiale sert de matrice à la diabolisation en fournissant des références sans cesse utilisées par les décideurs politiques ou médiatiques en quête de justifications historiques et morales. Cette approche fait écho à des travaux déjà anciens sur l’instrumentalisation de la mémoire[1]. La polarisation sur la Seconde Guerre mondiale s’explique par le conflit de valeurs entre belligérants, profondément marqué par la « solution finale ». L’enchaînement des causes et la contribution de chacun font l’objet d’une réflexion historiographique et d’une exploitation politique jamais achevées. Les mécanismes de diabolisation fonctionnent à partir d’une (dis)qualification morale qui fige mentalement le jugement et, partant, les situations rendent ainsi « difficiles les interactions avec l’ennemi, une fois que celui-ci a été diabolisé ». Le propos de Grosser rejoint celui d’autres historiens des relations internationales, qui conduisent depuis plusieurs années des travaux sur les attitudes mentales et les images de l’autre, attitudes et images qui jouent inévitablement sur les processus de décision[2].

L’ouvrage est construit en trois grandes parties. La première, « Les leçons de l’histoire », revient en détail sur le complexe de Munich et les syndromes de Suez et du Vietnam. Maîtrisant parfaitement l’historiographie internationale sur ces sujets complexes, Grosser invite à la plus grande prudence dans l’utilisation des références historiques. Il convient d’avoir une conscience aiguë des limites du savoir et du raisonnement historiques. Vœu pieux ? Sans doute, quand on voit comment les décideurs dupent volontairement, ou se dupent inconsciemment, en recourant à des analogies historiques pour justifier une décision. Une des premières tâches de l’histoire des relations internationales est de déconstruire ces mythes, et de pointer les anachronismes, qui biaisent souvent les premières analyses d’une crise. Or il n’y a pas de gestion de crise sans formulation sérieuse des enjeux initiaux.

L’exemple de Munich, « repoussoir absolu », sorte d’arme d’annihilation du débat, permet de fustiger un adversaire politique en l’accusant de mollesse ou de manque de clairvoyance : « La référence à Munich permet d’analyser une situation, de prédire le futur, et d’imposer une solution. » Cette référence a été utilisée par les autorités américaines pour intervenir en Corée, au Vietnam ou à Cuba. Elle est souvent à l’origine d’un argumentaire visant à expliquer que le plus sûr moyen de prévenir un massacre de masse est d’intervenir de manière préventive, « voire d’éliminer le diable ». Un des mérites de l’ouvrage de Grosser est de permettre de comprendre Munich dans son contexte historique et dans son exploitation historiographique ou politique, pour savoir quoi répondre à celles et ceux qui pourraient vous traiter de Neville Chamberlain ou d’Édouard Daladier…

July 1914. Countdown to War

July 1914Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Satyavane Doressamy propose une analyse de l’ouvrage de Sean McMeekin, July 1914. Countdown to War (New York, NY, Basic Books, 2013, 480 pages).

Ce livre relate la crise diplomatique de juillet 1914 qui mena au déclenchement de la Première Guerre mondiale. C’est le cinquième ouvrage de Sean McMeekin, spécialiste américain de la période, deux de ses précédents écrits ayant été honorés de prix littéraires. Le livre se divise en deux parties, la première montrant les réactions des puissances européennes, la seconde analysant le déroulement des événements. Dans sa première partie, l’auteur introduit les grands acteurs des relations diplomatiques pour chaque pays, responsables des Affaires étrangères, ambassadeurs et souverains.

La seconde partie, beaucoup plus longue, pointe les différents responsables du déclenchement de la guerre. Le premier est le ministre des Affaires étrangères d’Autriche-Hongrie, le comte Berchtold, qui envoie un rapport à l’Allemagne favorisant nettement la solution militaire. Guillaume II, quant à lui, commet l’erreur d’assurer à l’Autriche-Hongrie un soutien total de l’Allemagne, quelle que soit la réaction de la double monarchie à l’incident de Sarajevo. La Russie, qui veut protéger la Serbie, reçoit l’appui de la France par l’intermédiaire du président Poincaré. Pour éviter toute solution de compromis, le comte Berchtold envoie la déclaration de guerre à la Serbie après que celle-ci a rejeté l’ultimatum. Vient enfin la course à la mobilisation, course que la Russie entame mais qu’elle parvient à dissimuler. L’Allemagne s’en plaint à l’Angleterre, mais celle-ci n’est pas au courant… Lorsque le Kaiser prend la décision de mobiliser en retour, il passe pour l’agresseur. La décision militaire allemande de violer la neutralité de la Belgique rompt les relations diplomatiques anglo-germaniques et fait entrer la Grande-Bretagne dans le camp de la France et de la Russie. La guerre peut commencer.

Les somnambules. Été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Jean-Yves Le Naour propose une analyse de l’ouvrage de Christopher Clark, Les somnambules. Été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre, (Paris, Flammarion, 2013, 668 pages).

les somnambules okIl est peu de sujets sur lequel on ait plus écrit que sur les origines de la Première Guerre mondiale. Près de 25 000 articles et ouvrages sont en effet centrés sur cette question sans finalement jamais satisfaire le lecteur. Si les opinions ont longtemps varié avec la nationalité et les opinions des auteurs, les thèses nationalistes s’opposant notamment aux thèses marxistes, le débat historique tourne en fait depuis 100 ans autour de la question de la responsabilité et donc de la culpabilité. Qui a déclenché la grande catastrophe ? Était-ce l’Allemagne, comme le disait le traité de Versailles ? La Russie, comme le soutenaient les Allemands ? Le militarisme et le capitalisme, comme l’affirmaient les socialistes ?

En cherchant à s’affranchir de la recherche d’un coupable d’où viendrait tout le mal, en se méfiant de cette logique qui prédispose l’historien à interpréter les actions des décideurs comme planifiées à l’avance et donc à s’enfermer dans une cohérence qui n’est peut-être qu’une reconstruction, Christopher Clark reprend un débat à nouveau frais. En réalité, depuis Pierre Renouvin, pour ne citer que celui-ci, les historiens de l’entre-deux-guerres, eux-mêmes anciens combattants, avaient déjà cherché à se situer au-delà de la question mortifère de la culpabilité, sans toutefois s’en défaire totalement. Christopher Clark n’y parvient pas plus : il a beau, en introduction, annoncer qu’il s’intéresse au comment et non au pourquoi, il sait parfaitement que le premier nourrit le second. Inverser le postulat de départ permet cependant de se dégager des interprétations mécaniques et de décrire un monde où la guerre n’est pas aussi inéluctable qu’on a bien voulu le croire a posteriori.

C’est le premier mérite du livre de Christopher Clark que de casser ce déterminisme belliciste qui a trop longtemps imprégné les études sur l’avant-1914. Point non plus de déterminisme économique, l’auteur manifestant ici une indifférence presque totale aux rivalités impérialistes qui ont fait les fondements de la thèse marxiste. Pour Clark, ce qui compte, ce sont les hommes : les diplomates, les ministres, les chefs d’État, les militaires, dont il brosse des portraits saisissants. Ce sont leurs perceptions, leurs erreurs, leurs certitudes, leurs rêves et leurs craintes qu’il entend sonder. Pour pouvoir conter cette ambiance de méfiance et de haines recuites, il fallait aussi un certain talent de plume, et ne pas tomber dans le piège de l’ouvrage à tiroirs, avec des chapitres déconnectés les uns des autres. Disons-le franchement, Les Somnambules se lit comme un véritable roman, c’est un récit haletant et de qualité comme les historiens français en produisent assez peu en raison d’une vieille et absurde défiance envers la littérature. Le début du premier chapitre, relatant l’assassinat des souverains serbes en 1903, est à cet égard époustouflant.

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