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Guerre et paix entre les monnaies

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Jacques Mistral, Guerre et paix entre les monnaies (Fayard, 2014, 348 pages).

Dans un prologue un peu déconcertant, Jacques Mistral ébauche un portrait du monde en 2029. Il explique pourquoi et comment les années 2010 et 2020 ont été marquées par la montée du nationalisme et du protectionnisme, aboutissant à la fin de la deuxième mondialisation. Paradoxalement, cette entrée en matière prend tout son relief une fois la lecture de l’ouvrage achevée : y sont analysés en effet les dangers qui peuvent naître de l’absence de coopération entre grandes puissances économiques.

L’auteur enchaîne en décrivant le monde de 2013. Nous venons certes de traverser la pire crise depuis les années 1930, mais si nous avons évité une dépression semblable à celle de 1929-1933, c’est au prix d’une explosion des dettes publiques dans les pays occidentaux et de la mise en place de politiques monétaires « non conventionnelles » dont il est encore impossible de mesurer les conséquences à moyen-long terme. Ce constat justifie, selon Mistral, une réorganisation profonde de l’architecture financière et monétaire internationale.

Brazil: Reversal of Fortune

BrazilCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Alfred P. Montero, Brazil: Reversal of Fortune (Polity, 2014, 288 pages).

Alfred Montero dresse un portrait optimiste de l’évolution économique et politique du Brésil depuis le retour de la démocratie en 1985. Le découpage thématique de l’ouvrage permet de mieux appréhender les défis que la première économie latino-américaine a commencé à relever.

Son premier axe porte sur l’évolution de la gouvernance. Sont soulignés l’enracinement progressif de la démocratie et la convergence idéologique gauche-droite. Cette dernière serait liée à l’accroissement, dans les années 1990, du nombre de maires issus du Parti des travailleurs. Confrontés aux réalités économiques et politiques, ceux-ci se sont partiellement recentrés, au point que leur porte-drapeau « Lula » – Luiz Inácio Lula da Silva –, annonçait en pleine campagne présidentielle de 2002 sa volonté de s’inscrire dans la continuité du président Cardoso. Montero pointe pourtant les faiblesses politiques et institutionnelles de la démocratie brésilienne (clientélisme, corruption, violence, préjugés raciaux) et en explique les causes : manque de moyens du système judiciaire, pouvoir limité des commissions parlementaires, faible adhésion des citoyens aux valeurs politiques ou aux idéologies, relative indifférence aux problèmes de corruption et défiance à l’égard des institutions.

Regard critique sur certaines propositions de Piketty

PikettyNorbert Gaillard, auteur de plusieurs articles dans la revue Politique étrangère, discute certaines propositions émises par Thomas Piketty dans Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013).

 À l’heure où la France est confrontée à une croissance quasi nulle et à une multiplication des jacqueries fiscales, il est utile de se replonger dans Le Capital au XXIe siècle publié par Thomas Piketty il y a un an ; non pas pour discréditer ses résultats ou contester le creusement des inégalités (tâches aussi stériles que ridicules), mais pour discuter de la pertinence de certaines de ses propositions.

 On approuve complètement l’auteur dans sa volonté d’intensifier les échanges d’informations fiscales entre États et d’accroître ainsi la transparence sur les patrimoines (p. 842). Sur ce point, on peut d’ailleurs regretter que l’Union européenne ne se soit pas montrée aussi déterminée que les États-Unis, en particulier pour ce qui est de ses relations avec les paradis fiscaux.

Land of Promise. An Economic History of the United States

LindCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Patrick Chamorel propose une analyse de l’ouvrage de Michael Lind, Land of Promise. An Economic History of the United States, (New York, NY, HarperCollins, 2013, 586 pages).

Alors qu’à Washington la polarisation idéologique et partisane autour de la politique économique bat son plein, Land of Promise arrive à point nommé pour replacer ces débats dans une perspective historique. Cofondateur du think tank centriste New America Foundation, Michael Lind avait déjà privilégié une telle perspective dans des ouvrages remarqués sur la culture politique, économique et stratégique américaine. Dans un style précis et enlevé, Lind s’interroge aujourd’hui sur la véritable nature et les clés d’un modèle économique qui a permis aux États-Unis de se propulser à la première place mondiale moins d’un siècle après leur naissance, puis de conserver – pour combien de temps encore ? – ce leadership pendant le siècle et demi suivant.

Sa réponse est à la fois inattendue et sans ambiguïté : « La tradition économique américaine n’a jamais été le laisser-faire… Cette tradition s’incarne au contraire dans la politique industrielle », affirme-t-il. Cette thèse s’inscrit à contre-courant des idées dominantes, tant aux États-Unis où l’on est enclin à révérer le marché libre et à se méfier de l’intervention de l’État, qu’ailleurs où alternent les critiques contradictoires d’un capitalisme « débridé » et d’une politique industrielle qui ne dit pas son nom.

Selon Lind, deux traditions antagonistes se sont affrontées tout au long de l’histoire économique américaine. La tradition jeffersonienne a, du temps de l’esclavage, privilégié l’économie agraire et le libre-échange avec la Grande-Bretagne. Elle continue de prôner une main-d’œuvre bon marché et une concurrence entre petits producteurs et banquiers qui serait régulée par de strictes lois antitrust dans le cadre limité des États fédérés. Cette philosophie a dominé dans le Sud et sous les présidences d’Andrew Jackson, Woodrow Wilson, Jimmy Carter, Ronald Reagan et George W. Bush. Elle s’inspire de la crainte que la concentration économique ne subvertisse la décentralisation du pouvoir et les libertés politiques.

À cette tradition s’oppose celle dite hamiltonienne, par référence au leader fédéraliste qui fut, sous la présidence de George Washington, le premier secrétaire au Trésor. Les hamiltoniens qui, selon Lind, comptent dans leurs rangs les présidents Abraham Lincoln, William McKinley, Herbert Hoover, Dwight Eisenhower, Lyndon Johnson, Richard Nixon et les deux Roosevelt, Theodore et Franklin, ont été des modernisateurs favorables à la collaboration entre secteurs public et privé. Sous leur influence, l’État a soutenu les secteurs stratégiques en protégeant les industries naissantes par des droits de douane élevés, en finançant l’innovation et les infrastructures et en incitant à la concentration industrielle et financière. Il revient aussi aux hamiltoniens d’avoir créé la Banque centrale, encouragé le développement d’un marché continental unifié et recouru à d’occasionnels plans de relance. Aujourd’hui, les hamiltoniens dominent le Parti démocrate, tandis que les jeffersoniens continuent de jouir d’une forte influence dans le Sud et au sein de l’aile libertaire du Parti républicain. Lind juge le modèle jeffersonien dénué de toute vertu et même « réactionnaire » : « Tout ce que l’économie a de bon se rattache à la tradition hamiltonienne, écrit-il, tout ce qu’elle a de mauvais, à la tradition jeffersonienne. » Nul doute que la modernité et les performances de l’économie américaine doivent davantage au second qu’au premier système. Néanmoins, n’est-ce pas plutôt la culture jeffersonienne, individualiste, anti-étatiste, adepte de la prise de risque et pionnière dans la conquête de l’Ouest, qui est au fondement de la réussite économique américaine ?

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