Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Jacques Mistral, Guerre et paix entre les monnaies (Fayard, 2014, 348 pages).
Dans un prologue un peu déconcertant, Jacques Mistral ébauche un portrait du monde en 2029. Il explique pourquoi et comment les années 2010 et 2020 ont été marquées par la montée du nationalisme et du protectionnisme, aboutissant à la fin de la deuxième mondialisation. Paradoxalement, cette entrée en matière prend tout son relief une fois la lecture de l’ouvrage achevée : y sont analysés en effet les dangers qui peuvent naître de l’absence de coopération entre grandes puissances économiques.
L’auteur enchaîne en décrivant le monde de 2013. Nous venons certes de traverser la pire crise depuis les années 1930, mais si nous avons évité une dépression semblable à celle de 1929-1933, c’est au prix d’une explosion des dettes publiques dans les pays occidentaux et de la mise en place de politiques monétaires « non conventionnelles » dont il est encore impossible de mesurer les conséquences à moyen-long terme. Ce constat justifie, selon Mistral, une réorganisation profonde de l’architecture financière et monétaire internationale.
L’auteur étudie d’abord l’essor financier du Royaume-Uni et des États-Unis aux xixe et xxe siècles. Il constate que leurs déclins – relatif dans le cas américain – ont des caractéristiques communes : l’émergence de challengers (la France, l’Allemagne, et les États-Unis durant la pax britannica, puis l’Union européenne, le Japon et la Chine durant la pax americana) a fragilisé la balance des paiements du leader, accentué la volatilité des capitaux et multiplié les crises.
La deuxième partie de l’ouvrage s’attache à mettre en lumière les défis auxquels sont confrontées les deux puissances montantes de ces dernières décennies – la Chine et l’Europe –, ainsi que les États-Unis. Confronté au shadow banking, au vieillissement de sa population, à l’exode rural et au risque social, l’empire du Milieu est désormais contraint de modifier son régime de croissance. De son côté, au lieu de déplorer l’hégémonie allemande – il est rappelé que, depuis les années 1970, la politique monétaire européenne est orchestrée par la Bundesbank –, l’Europe doit se doter d’un vrai ministre de l’Économie et des Finances à l’échelle de la zone euro, et régler ses problèmes de dettes publiques et de chômage. L’auteur dépeint enfin une Amérique pleine de contrastes : sa capacité à innover et ses ressources énergétiques restent impressionnantes mais les conséquences de sa politique monétaire accommodante sont inconnues et pourraient encore affaiblir une démocratie qualifiée de « dysfonctionnelle ».
Dernière partie : la gouvernance mondiale. Mistral considère que le « non-système » monétaire international actuel présente quatre défauts majeurs : l’excès de liquidité venant des États-Unis, la volatilité des taux de change, l’absence d’actif de réserve fiable, l’incapacité à contenir le chômage et l’exclusion des classes populaires. Que faire ? Plusieurs propositions sont avancées. Réformer le Fonds monétaire international (FMI), en accroissant le poids des États émergents, en le rendant plus indépendant des dirigeants politiques et en lui octroyant des pouvoirs accrus en matière de surveillance du secteur financier. Puis mettre en place un système multidevises fondé sur le droit de tirage spécial (DTS). Enfin, mieux maîtriser les mouvements de capitaux. La faisabilité et le réalisme de ces propositions peuvent être discutés, mais elles vont dans le bons sens, en favorisant la coopération internationale et l’interdépendance, et en démontrant qu’il n’y a pas de « démondialisation » heureuse.
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