Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage publié sous la direction de Thierry Tardy et Marco Wyss, Peacekeeping in Africa. The Evolving Security Architecture (Routledge, 2014, 272 pages).

Longtemps le maintien de la paix fut le monopole des casques bleus de l’Organisation des Nations unies (ONU), dûment mandatés pour surveiller un cessez-le-feu ou mettre en œuvre un accord de paix. Aujourd’hui, les missions se sont enrichies et les acteurs multipliés : l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE), les organisations sous-régionales – Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) –, les États africains ou extra-africains, etc. Spécialistes des questions de sécurité, Thierry Tardy et Marco Wyss le montrent, en présentant l’Afrique comme un « laboratoire du maintien de la paix ».

L’intérêt des Nations unies pour l’Afrique n’a pas décru. Deux tiers environ des résolutions du Conseil de sécurité lui sont consacrées ; trois quarts des casques bleus et neuf des seize opérations en cours y sont déployés pour un coût annuel supérieur à 5 milliards de dollars. Les missions en République démocratique du Congo (RDC), au Darfour et au Sud-Soudan sont les plus importantes, en budget et en personnel.

Pour autant, les Nations unies ne sont plus seules à œuvrer au maintien de la paix en Afrique. Elles opèrent avec l’UE, l’UA, une organisation sous-régionale, un ou plusieurs États. La coordination de ces acteurs n’est pas facile. L’articulation de leurs interventions peut se faire selon trois modalités.

La plus logique serait la succession chronologique : des forces africaines s’interposent entre les belligérants avant que les Nations unies ne mettent en œuvre un programme de long terme de rétablissement de la paix. Ce fut le cas de l’Opération des Nations unies au Burundi (ONUB) qui a succédé en juin 2004 à l’African Union Mission in Burundi (AMIB), ou encore de la Mission des Nations unies au Liberia (MINUL) qui prit le relais en 2003 d’une force d’interposition de la CEDEAO. Le Mali offre l’exemple d’une succession, voire d’un chevauchement, d’interventions menées tour à tour par la CEDEAO, l’UA, la France, enfin l’ONU.

La modalité la plus fréquente est le déploiement parallèle de plusieurs missions de maintien de la paix. C’est souvent dans ce cadre qu’intervient l’UE, qui n’entend pas assumer seule la pacification d’un théâtre et préfère des opérations de moindre envergure à caractère civil, de renforcement de capacités par exemple, qui lui permettent à moindre coût de parer les critiques sur sa passivité : l’European Union Training Mission (EUTM) Somalia forme les forces de l’African Union Mission in Somalia (AMISOM), l’EUTM Mali assure des formations similaires pour les soldats de l’armée malienne.

L’hybridation serait la forme idéale de coopération. Mais elle reste encore largement utopique, celle de l’UA et de l’ONU au Darfour mise sur pied en 2007 pour pallier les carences de l’African Union Mission in Sudan (AMIS) montrant vite les limites de l’exercice.

Si cette articulation est à ce point complexe, c’est que les acteurs n’ont ni le même agenda ni les mêmes missions. Les « solutions africaines aux problèmes africains » ne sont pas faciles à trouver, faute de moyens – la Force africaine en attente (FAA) n’est toujours pas constituée –, mais aussi de volonté politique – les ambitions régionales de l’Éthiopie en Somalie, ou de l’Ouganda en RDC, pèsent lourd dans le rétablissement de la paix dans ces deux pays par exemple. Du coup, le maintien de la paix en Afrique relève encore largement de cette logique d’extraversion jadis décrite par Jean-François Bayart.

S’abonner à Politique étrangère.