Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Alfred P. Montero, Brazil: Reversal of Fortune (Polity, 2014, 288 pages).
Alfred Montero dresse un portrait optimiste de l’évolution économique et politique du Brésil depuis le retour de la démocratie en 1985. Le découpage thématique de l’ouvrage permet de mieux appréhender les défis que la première économie latino-américaine a commencé à relever.
Son premier axe porte sur l’évolution de la gouvernance. Sont soulignés l’enracinement progressif de la démocratie et la convergence idéologique gauche-droite. Cette dernière serait liée à l’accroissement, dans les années 1990, du nombre de maires issus du Parti des travailleurs. Confrontés aux réalités économiques et politiques, ceux-ci se sont partiellement recentrés, au point que leur porte-drapeau « Lula » – Luiz Inácio Lula da Silva –, annonçait en pleine campagne présidentielle de 2002 sa volonté de s’inscrire dans la continuité du président Cardoso. Montero pointe pourtant les faiblesses politiques et institutionnelles de la démocratie brésilienne (clientélisme, corruption, violence, préjugés raciaux) et en explique les causes : manque de moyens du système judiciaire, pouvoir limité des commissions parlementaires, faible adhésion des citoyens aux valeurs politiques ou aux idéologies, relative indifférence aux problèmes de corruption et défiance à l’égard des institutions.
Le deuxième axe de l’ouvrage est consacré à l’économie. L’auteur défend la thèse de la relative continuité des politiques menées depuis l’après-guerre. Certes, il rappelle que, sous l’impulsion des présidents Collor, Franco et Cardoso, le pays a engagé une libéralisation financière et commerciale puis, sous l’ère Lula da Silva, a fait de l’innovation et de la compétitivité ses priorités. Mais il montre surtout que la stratégie néodéveloppementaliste teintée d’un fort interventionnisme étatique, suivie par le Brésil depuis deux décennies, doit en partie son succès à des institutions préexistantes (tels la Banque nationale pour le développement économique et social ou le Fonds national pour le développement scientifique et technologique). Par ailleurs, les secteurs privilégiés aujourd’hui sont sensiblement les mêmes qu’à l’époque de l’industrialisation par substitution aux importations : énergie, infra-structures, télécommunications. Les résultats sont concluants : au cours de la dernière décennie, le ratio dette publique sur produit intérieur brut (PIB) a été réduit et l’inflation maîtrisée ; la croissance a été soutenue ; le taux de pauvreté a chuté de 35 % à 21 % ; plusieurs millions de travailleurs ont basculé du secteur informel vers le secteur formel. Toutefois, des inégalités persistent en matière d’accès à la santé, et la qualité de l’enseignement demeure médiocre.
Le dernier axe développé est celui de la politique étrangère. Montero considère que le Brésil n’a ni la volonté, ni la capacité militaire et financière de jouer un rôle majeur sur la scène diplomatique. Pour lui, les différences entre Fernando Henrique Cardoso (plus tourné vers l’Europe) et Lula da Silva (vers le dialogue Sud-Sud) ne furent que rhétoriques, ou médiatiques. La politique extérieure brésilienne, de Cardoso à Dilma Rousseff, semble surtout mue par les intérêts économiques et commerciaux, ce qui conduit Brasilia à entretenir des relations cordiales aussi bien avec le Venezuela qu’avec les États-Unis.
Ce livre ravira les politistes souhaitant évaluer forces et faiblesses de ce que Montero nomme le « nouveau Brésil ». Il convainc le lecteur que le succès du pays depuis 10 ans n’est pas seulement dû au boom des matières premières. Un bémol cependant : l’auteur n’analyse pas assez le changement de paradigme que constitue la reglobalisation financière des années 1990, et sous-estime du coup le risque de fuite de capitaux et la fragilité financière et monétaire du pays.
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