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Économie : Une brève histoire des crises financières

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2011). Jacques Mistral, ancien directeur des études économiques à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Christian Chavagneux : Une brève histoire des crises financières. Des tulipes aux subprimes (Paris, La Découverte, 2011).

Cet ouvrage, c’est d’abord une histoire des bulles financières et des crises qu’elles provoquent, toujours et toujours : c’est une histoire pleine d’innovations, de rebondissements et de catastrophes. À côté des grands classiques – comme la faillite de Law ou la crise de 1929 –, le lecteur aimera (re)découvrir ce qui fait la modernité de la bulle sur les oignons de tulipe aux Pays-Bas au XVIIe siècle ou sur la panique bancaire de 1907 aux États-Unis.

En matière financière, décidément, l’humanité n’a rien appris. Le livre se lit avec facilité et cela bien que l’auteur utilise sa vaste érudition pour offrir un appareil documentaire abondant (il y a près de 200 notes et autant de références bibliographiques précieuses pour qui veut prolonger l’enquête). Au-delà de l’histoire, il y a une thèse qui s’inscrit dans une perspective connue, celle tracée par Charles P. Kindleberger et Hyman P. Minsky : l’innovation financière débridée et l’effet de levier incontrôlé sont les ingrédients de base de la course au profit et à l’abîme. C. Chavagneux enrichit ce modèle sous trois aspects.

D’abord les origines : la crise n’est pas un accident. Elle a été préparée par la mise en œuvre de stratégies très précises – la déréglementation financière, pour être bref. Dans ce contexte, même si l’on est amené à mettre en exergue des fraudes monstrueuses comme celle de Bernard Madoff, la crise n’est pas le produit de quelques comportements déviants : elle a aussi une dimension qui relève, selon l’auteur (suivant ici une analyse illustrée en particulier par William Black), de la criminalité organisée (on pense aux conditions d’octroi et de gestion de certains crédits immobiliers, aujourd’hui devant la justice).

Un second apport concerne le rôle de l’accroissement des inégalités comme « carburant de la crise » (difficile d’échapper en permanence à la tentation des titres accrocheurs). La recherche a récemment mis l’accent sur ce lien et le sujet aurait mérité d’aller plus loin que la mise en cause convenue de « l’influence politique des riches ». Les inégalités sont un résultat, pas une variable de décision, et la question que soulève cette littérature est la suivante : comment pourrait se reconstituer, à l’avenir, sous une forme évidemment nouvelle, le lien fordiste rompu depuis deux décennies entre salaire réel et productivité ?

Troisième apport, la prévention des crises futures. Très averti des travaux du G20, l’auteur décrypte les résultats de ses efforts en faveur d’une meilleure gouvernance financière mondiale. Son jugement est précis et équilibré : ceux qui dénoncent les « G vains » ont tort. De Washington à Séoul en passant par Cannes, un mouvement est enclenché, qui a des faiblesses mais produit néanmoins des résultats ; il faut faire vivre cette volonté politique sans laquelle on peut évidemment craindre de nouvelles crises.

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Europe politique : un espoir est-il raisonnable ?

Article paru dans Politique étrangère n°4:2011 et rédigé par Alain Richard, sénateur socialiste. Il siège également au sein de la présidence du Parti socialiste européen et fut ministre de la Défense entre 1997 et 2002, dans le gouvernement de Lionel Jospin.

La crise européenne est d’abord le fruit des difficultés économiques et de leurs effets sociaux. Le projet européen d’une prospérité croissante et partagée est désormais vu avec défiance par les opinions publiques. À cela s’ajoute une gouvernance complexe depuis les élargissements de la précédente décennie. Un esprit collectif européen peut renaître du désir d’un rebond économique mais cette revitalisation dépendra beaucoup des élites médiatiques et politiques, ainsi que des nouvelles générations de citoyens européens.

* * *

Il n’est pas nécessaire de décrire en détail les symptômes d’affaiblissement de l’ambition collective qu’a représentée jusqu’à un passé récent la construction politique de l’Europe. Les signes en sont évidents et se sont accumulés depuis une décennie. On ne peut que les citer sommairement et les analyser pour chercher comment peut survenir un rebond.

Le plus préoccupant est la distance politique qui s’est élargie entre le centre de décision que représente le nom de Bruxelles et les perceptions des centaines de millions de citoyens européens au nom – et en principe dans l’intérêt – de qui s’élaborent et finalement se prennent lesdites décisions. L’Europe de ces dernières années semble à beaucoup non seulement éloignée (ce qui est inévitable, comme aux États-Unis le nom de Washington symbolise cet éloignement) mais, plus en profondeur, déconnectée de leurs demandes et de leurs problèmes. Les expressions dispersées de tous ceux qui ont vocation à parler en son nom ne semblent plus faire sens, ni se rattacher à un projet vivant.

Dans la vie civique de chacune de nos nations, l’objectif si souvent affiché de « plus d’Europe » n’est plus partagé ; il n’est énoncé, par des acteurs qui y croient, ou se sentent tenus de sembler y croire, que par fidélité à un engagement ancien, et sans nourrir d’illusion sur l’accueil populaire d’un tel appel. Il n’est alors exprimé que comme un rite destiné à contourner des contraintes et rarement assorti de propositions opératoires ouvrant un débat réel. Un « souverainisme » résigné ou méfiant donne le ton aux quatre coins du continent et semble signer un arrêt de l’espoir européen.

Si l’on cherche à classer les facteurs qui ont conduit à ce fort détachement, l’explication première est indéniablement économique. Depuis dix ans, l’Europe, collectivement – avec des exceptions positives dans certains pays ou ensembles régionaux, équilibrées par des poches de dépression –, enregistre une croissance faible : moins de 1,5% annuel entre 2000 et 2010 pour l’ensemble de l’Union européenne (UE). Cette situation frustrante contraste à la fois avec les signes frappants de la croissance des pays émergents les plus en vue et avec une dynamique passée que beaucoup d’Européens, sans se pencher sur les statistiques, avaient enregistrée au long des décennies dans leurs conditions de vie et leurs mentalités.

L’impact de ce relatif échec sur la vie de nos sociétés, sur la vie de ce qui est aussi notre société européenne, se mesure bien sûr par le chômage et le sous-emploi. La montée de ce mal social est déjà frappante quand on observe les données globalisées de l’emploi. Mais ses effets sociétaux vont plus loin. Le terme de précarisation les résume sommairement. Ce sont non seulement les emplois les moins qualifiés, ou ceux des secteurs les plus concurrencés, qui disparaissent, mais de proche en proche une masse toujours plus étendue d’actifs, salariés ou indépendants, qui se sentent menacés et qui éprouvent un stress croissant dans leur activité professionnelle. La promesse d’une croissance à peu près régulière, apportant à chacun sa part de progrès, n’est plus tenue.

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Crise européenne et démocratisation au sommaire du dernier Politique étrangère

L’actualité valide étrangement la cohabitation des deux dossiers que présente ce numéro de Politique étrangère. Les événements de 2011 dans les pays arabes ou en Afrique, la préparation de l’élection présidentielle en Russie, les difficultés du système institutionnel américain et aussi l’écho, au loin, de l’Afghanistan, donnent, 20 ans après son triomphe des années 1990, la mesure de l’ambivalence, voire de l’ambiguïté, de la bonne conscience démocratique occidentale. La « démocratie » n’aura été que fugacement l’horizon – de court terme – indépassable de notre temps.

(cliquer sur la couverture pour voir le sommaire)

La marche de l’Europe le long du gouffre vient aussi poser, en chapeau aux décisions prises pour parer à la crise économique et financière, la question de la production des décisions politiques sur notre continent. Étrange Europe… Les succès de la construction européenne sont historiques au pur sens du terme : la paix, la croissance, la répartition de la richesse, l’élargissement des espaces de liberté ; ces acquis n’ont été recueillis aussi rapidement dans aucun autre espace du monde et ils servent de modèle très largement à ce même monde. Et pourtant, on sent bien que quelque chose se passe en Europe qui ressemble au divorce entre les peuples européens et cette construction censée leur apporter leur plus grand profit historique.

On peut relever, avec Alain Richard dans ce numéro, que la paix et la prospérité, qui furent à la fois les objectifs premiers et les apports nets de la construction européenne, ne suffisent plus à fonder sa légitimité (PDF). La paix parce qu’elle semble là, non menacée pour les générations nouvelles ; la prospérité parce qu’elle menace de n’être plus là : l’Europe ne la produit plus, ne la garantit pas – voir la crise et ses difficultés manifestes à s’y orienter. L’Europe n’enrichit plus et ne protège plus : c’est sans doute ainsi que, de plus en plus nombreux, les Européens la perçoivent.

L’Union européenne (UE) est devenue au fil des élargissements un vaste espace de négociation permanente entre intérêts nationaux divergents. Elle était aussi hier le champ d’opposition d’intérêts contraires mais dans un espace restreint et plus équilibré, donc plus maîtrisable, qui permettait de mettre en avant la production d’un intérêt collectif, ce qui ne semble plus souvent le cas… Paradoxe, cependant : la négociation de crise pousse vers l’avant, fait sauter les gouffres et contourner les impossibilités institutionnelles. La crise grecque a donc permis d’avancer vers la gouvernance économique de l’Union monétaire d’une manière inattendue. Mais au rythme lent de l’intergouvernemental. Et le sait-on vraiment ? Ce progrès apparaît-il légitime aux opinions, au nom des valeurs qui fondaient pour elles la construction européenne ? Autrement dit, le progrès institutionnel vient-il balancer pour ces opinions l’image d’impuissance, d’affolement, et au final d’illégitimité, des décisions prises à Bruxelles ? Il est aujourd’hui permis d’en douter.

Plus partagée est sûrement l’idée que les politiques revendiquées par Bruxelles sont au vrai dictées par des instances non contrôlables par les procédures démocratiques – les fameux « marchés » qui renversent les gouvernements ou censurent dans l’instant les ministres pressentis, comme en Grèce ou en Italie. Et que l’intergouvernemental, un temps loué comme démocratique face à la « technocratie apatride » bruxelloise, ne vaut guère mieux, aussi soumis qu’il est à des logiques techniques qui l’éloignent de la raison politique.

La décision européenne apparaît ainsi de plus en plus comme une imposition et de moins en moins comme une création collective, et dans des cas fort divers : pour les Grecs, les Espagnols, mais aussi les Allemands. La question posée est donc bien celle du projet européen – celui qui justifie un sentiment collectif européen – et de la capacité des institutions démocratiques des États membres à le porter, à l’intégrer dans leurs propres processus démocratiques. Il est légitime de valoriser les systèmes nationaux de production de démocratie ; mais la décision s’élaborant aussi en dehors de leurs institutions, ces systèmes doivent aussi porter le projet de construction européenne. Faute de quoi une image d’échec des institutions de Bruxelles, un frileux retour au national fondé sur la peur de la mondialisation, puis l’inévitable constat de l’impuissance des États européens séparés pourraient déboucher sur de dangereuses aventures : les populismes de tout poil en donnent quelque avant-goût. Il faut en revenir au politique, à la vision européenne, à 27, à 17, ou moins, pour recréer l’idée, aujourd’hui mise en question, d’un destin politique – et pas seulement technique – solidaire.

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Certes, dire « démocratie » n’est pas décrire un système breveté et comme tel exportable. C’est aussi la richesse de ce numéro que de nous le rappeler. Les révolutions arabes déboucheront peut-être sur un élargissement de l’espace démocratique mais selon des rythmes et des procédures qui seront propres à chaque pays (voir, par exemple, l’article de Thomas Pierret : « Syrie : l’islam dans la révolution »). Ces révolutions ne se sont pas faites dans un espace politique organisé ni au nom d’un projet structuré : une révolution est toujours une explosion vaguement irrationnelle pour « le pain et la liberté ». L’organisation et le fonctionnement d’un régime démocratique sont autre chose, supposant un équilibrage permanent entre choc des opinions, efficacité de la prise de décision et acceptabilité du choix collectif.

La multiplication des élections africaines, plus ou moins transparentes et respectées, nous dit la même chose. La démocratie est affaire d’élections mais dépend surtout de l’organisation politique de la société : c’est cette dernière qui porte les partis, les débats, les réflexes qui constituent l’esprit démocratique. Toutes composantes qui ne peuvent se référer à un modèle unique – combien de formes de sociétés démocratiques en Occident même ?

Dans des ordres d’idées fort différents, l’affleurement des démocraties locales en Chine, le blocage actuel et de plus en plus visible des institutions américaines et les difficultés européennes sont là pour nous rappeler que les formes de la démocratie sont diverses et qu’elles doivent évoluer. En dépit de notre bonne conscience, la formule démocratique ne peut donc être dispensée ni parachutée. La seule certitude historique, c’est qu’hors certaines valeurs – le respect de l’individu, sa liberté de penser, son droit à une vie digne, matériellement et moralement –, aucune invocation de la démocratie ne vaut.

Un peu plus de 20 ans après l’effondrement du système soviétique, cette démocratie que nous croyions alors achevée est partout, à des degrés divers, en question. L’élaboration de formes démocratiques adaptées à un temps social, économique, technique, et donc politique, nouveau est un enjeu fondamental des débats qui tentent de dessiner une nouvelle gouvernance mondiale.

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[revue des livres] L’arrogance chinoise

Cet article, rédigé par Gilbert Étienne, est issu de la revue de lecture de Politique étrangère volume 76, n°3, paru à l’automne 2011, portant sur l’ouvrage d’Erik Izraelewicz  « L’arrogance chinoise » (Grasset, 2011).

Le palmarès des Chinois se profile tous azimuts : performances des exportations, recherche dans le high- tech, montée des classes moyennes, poids des réserves de change, etc. Et les Chinois commencent à concurrencer nos TGV… collectionnant au plan mondial les places de numéro un, ou deux.

L’ouvrage d’Erik Izraelewicz montre comment, après les zones côtières, la nouvelle ville de Shenzhen au Guangdong et Shanghai, ce sont la Chine du Nord-Est (l’ancienne Mandchourie) et plus récemment l’Ouest, en particulier Chongqing au Sichuan, qui se développent, attirant capitaux nationaux et étrangers en quête de travaux d’infrastructures et de nouveaux marchés. Non moins satisfaisantes sont les pages de ce livre sur les banques, ou le monde si important de l’immobilier.

Les investissements de la Chine en Afrique, en Amérique latine et en Asie la mettent également en vedette, avec parfois d’importants projets d’assistance. Le rôle des investissements privés étrangers est ici tout aussi bien mis en lumière : moteur des exportations, source d’emplois et de revenus pour l’État. L’investissement étranger suscite aujourd’hui des controverses au sein de certaines multinationales occidentales. Jeffrey Immelt, président-directeur général de General Electric, se plaint ouvertement, comme d’autres, de discriminations, de piratage – même si ces critiques n’empêchent pas de nouveaux investissements, y compris de la part de General Electric. Autre source de différends : « Pékin néglige sans complexe les engagements pris lors de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce [OMC] en 2001. »

L’ouvrage s’attache particulièrement à décrire le changement de cap des Chinois. C’en est fini des bons élèves du monde capitaliste à profil bas sur la scène mondiale, selon les recommandations de Deng Xiaoping. Les Chinois se veulent, à juste titre, forts de leurs succès, de leurs nouvelles élites, du recul de la pauvreté : un sentiment accentué par le spectacle peu édifiant du monde occidental depuis la crise financière… Comment, dans ces conditions, ne pas se sentir sûr de soi, voire arrogant ?

Dans le même temps, les dirigeants chinois ne cachent plus leur inquiétude. De graves faiblesses subsistent et sont dénoncées par de hautes autorités : la corruption, les inégalités, toutes sortes d’abus comme les saisies de terres suscitent des incidents parfois violents. En 2010 ont été menées des grèves qui ont conduit à de tardives hausses de salaires. Depuis des années, les autorités ne parviennent pas à encourager la consommation, freinée par les surinvestissements et les exportations.

Pour conclure, E. Izraelewicz s’interroge sur l’avenir de la classe politique chinoise, la montée des nouvelles générations, les discussions au sein du Politburo entre ceux qui préconisent de nouvelles réformes, de nouveaux assouplissements du régime, et les partisans d’une ligne dure. Autre question : quel avenir pour les relations entre la Chine et le monde occidental ? « Comment vivre avec cet éléphant de plus en plus encombrant, de plus en plus sûr de lui ? » Les risques de « casse » peuvent être évités, moyennant lucidité réciproque, bonne connaissance de l’autre, compétences… et aussi plus de cohésion du côté occidental. Un remarquable tour d’horizon.

 

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