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Land of Promise. An Economic History of the United States

LindCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Patrick Chamorel propose une analyse de l’ouvrage de Michael Lind, Land of Promise. An Economic History of the United States, (New York, NY, HarperCollins, 2013, 586 pages).

Alors qu’à Washington la polarisation idéologique et partisane autour de la politique économique bat son plein, Land of Promise arrive à point nommé pour replacer ces débats dans une perspective historique. Cofondateur du think tank centriste New America Foundation, Michael Lind avait déjà privilégié une telle perspective dans des ouvrages remarqués sur la culture politique, économique et stratégique américaine. Dans un style précis et enlevé, Lind s’interroge aujourd’hui sur la véritable nature et les clés d’un modèle économique qui a permis aux États-Unis de se propulser à la première place mondiale moins d’un siècle après leur naissance, puis de conserver – pour combien de temps encore ? – ce leadership pendant le siècle et demi suivant.

Sa réponse est à la fois inattendue et sans ambiguïté : « La tradition économique américaine n’a jamais été le laisser-faire… Cette tradition s’incarne au contraire dans la politique industrielle », affirme-t-il. Cette thèse s’inscrit à contre-courant des idées dominantes, tant aux États-Unis où l’on est enclin à révérer le marché libre et à se méfier de l’intervention de l’État, qu’ailleurs où alternent les critiques contradictoires d’un capitalisme « débridé » et d’une politique industrielle qui ne dit pas son nom.

Selon Lind, deux traditions antagonistes se sont affrontées tout au long de l’histoire économique américaine. La tradition jeffersonienne a, du temps de l’esclavage, privilégié l’économie agraire et le libre-échange avec la Grande-Bretagne. Elle continue de prôner une main-d’œuvre bon marché et une concurrence entre petits producteurs et banquiers qui serait régulée par de strictes lois antitrust dans le cadre limité des États fédérés. Cette philosophie a dominé dans le Sud et sous les présidences d’Andrew Jackson, Woodrow Wilson, Jimmy Carter, Ronald Reagan et George W. Bush. Elle s’inspire de la crainte que la concentration économique ne subvertisse la décentralisation du pouvoir et les libertés politiques.

À cette tradition s’oppose celle dite hamiltonienne, par référence au leader fédéraliste qui fut, sous la présidence de George Washington, le premier secrétaire au Trésor. Les hamiltoniens qui, selon Lind, comptent dans leurs rangs les présidents Abraham Lincoln, William McKinley, Herbert Hoover, Dwight Eisenhower, Lyndon Johnson, Richard Nixon et les deux Roosevelt, Theodore et Franklin, ont été des modernisateurs favorables à la collaboration entre secteurs public et privé. Sous leur influence, l’État a soutenu les secteurs stratégiques en protégeant les industries naissantes par des droits de douane élevés, en finançant l’innovation et les infrastructures et en incitant à la concentration industrielle et financière. Il revient aussi aux hamiltoniens d’avoir créé la Banque centrale, encouragé le développement d’un marché continental unifié et recouru à d’occasionnels plans de relance. Aujourd’hui, les hamiltoniens dominent le Parti démocrate, tandis que les jeffersoniens continuent de jouir d’une forte influence dans le Sud et au sein de l’aile libertaire du Parti républicain. Lind juge le modèle jeffersonien dénué de toute vertu et même « réactionnaire » : « Tout ce que l’économie a de bon se rattache à la tradition hamiltonienne, écrit-il, tout ce qu’elle a de mauvais, à la tradition jeffersonienne. » Nul doute que la modernité et les performances de l’économie américaine doivent davantage au second qu’au premier système. Néanmoins, n’est-ce pas plutôt la culture jeffersonienne, individualiste, anti-étatiste, adepte de la prise de risque et pionnière dans la conquête de l’Ouest, qui est au fondement de la réussite économique américaine ?

The Shadow of the Past. Reputation and Military Alliances before the First World War – Militarism in Global Age

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Jérôme Marchand propose une analyse des ouvrages de Gregory D. Miller, The Shadow of the Past. Reputation and Military Alliances before the First World War, (Ithaca, NY, Cornell University Press, 2012, 248 pages) et de Dirk Bönker, Militarism in Global Age. Naval Ambitions in Germany and the United States before World War I (Ithaca, NY, Cornell University Press, 2012, 432 pages).

ShadowBien qu’ils couvrent la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle, ces deux ouvrages ne sont en rien de simples chroniques du temps passé. Leurs auteurs ont exploité une masse considérable d’archives, de témoignages et d’analyses. Pour autant, ils ne se sont pas contentés de bricoler un récit restituant les interrogations des grandes puissances de la Belle Époque. Ils ont aussi su mobiliser un appareil conceptuel sophistiqué, faisant place aux questionnements récents des sciences sociales. The Shadow of the Past, de Gregory D. Miller, examine le rôle que tient la réputation dans la gestion des rapports interétatiques, avec un intérêt particulier pour l’impact de la fiabilité (« Vu ses agissements passés, tel État-nation paraît-il enclin à tenir ses engagements ou à les renier ? ») sur la formation et l’évolution des alliances militaires. Concrètement, l’auteur passe en revue l’abandon par la Grande-Bretagne de sa politique de splendide isolement (1901-1905), la crise de Tanger (1905-1906), la crise bosniaque (1908-1909) et la crise d’Agadir (1911). L’impression d’ensemble ? L’ouvrage brasse quantité de réflexions théoriques. Il esquisse des pistes stimulantes pour appréhender le capital réputationnel des entités étatiques – pas d’analyse pointue si on ne prend soin de différencier l’image du régime, celle des dirigeants gouvernementaux en place et celle du parti dominant – et conceptualiser les grilles d’évaluation déterminant leur pouvoir d’attraction et leur palette de partenaires potentiels. Cependant, Gregory Miller a éprouvé beaucoup de difficultés à se dégager de l’emprise de Jonathan Mercer et de son magistral Reputation and International Politics (Cornell University Press, 1996). D’où un sentiment d’inachevé.

Le Mexique. Un état nord-américain

Cette recension est issue de Politique étrangère (4/2013). Emmanuelle Le Texier propose une analyse de l’ouvrage d’Alain Rouquié – Le Mexique. Un état nord-américain (Paris, Fayard, 2013, 496 pages).

9782213661728-XAlain Rouquié aime à citer l’écrivain mexicain Carlos Fuentes : « L’Argentine a un commencement, le Mexique a des origines. » Le latino-américaniste, distingué en 1987 par la publication d’Introduction à l’Extrême-Occident (Paris, Seuil), a aussi embrassé une carrière de diplomate, au Salvador en 1984 puis dans d’autres pays d’Amérique latine. Il offre une nouvelle somme sur le Mexique. L’absence de point d’interrogation pour ponctuer le sous-titre affirme déjà que la relation avec le voisin du Nord, avec un passé toujours présent où la mémoire de l’annexion subsiste, est centrale pour la compréhension du Mexique contemporain.

Presidential Leadership and the Creation of the American Era – Foreign Policy Begins At Home. The Case For Putting America’s House In Order

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2013). Martin Michelot propose une analyse des ouvrages de Joseph S. Nye, Presidential Leadership and the Creation of the American Era (Princeton, NJ, Princeton University Press, 2013, 200 pages), et de Richard Haas, Foreign Policy Begins at Home. The Case for Putting America’s House in Order (New York, Basic Books, 2013, 208 pages).

La question du leadership présidentiel aux États-Unis ne cesse d’être posée, que ce soit en matière de politique intérieure ou d’affaires étrangères, et revient toujours sur le devant de la scène, que le pays soit en période d’expansion ou de repli sur soi-même. Cette question de leadership, qui est au centre de Presidential Leadership and the Creation of the American Era de Joseph S. Nye Jr et de Foreign Policy Begins at Home de Richard Haass, porte en soi une autre dimension, qui est celle de l’influence, et plus particulièrement de la mesure de l’influence. Quelle est l’influence d’un président sur le déroulement des événements qui structurent sa présidence, et comment peut-on la mesurer ? Cette question est au centre de ces deux ouvrages, qui posent chacun les jalons d’une réflexion sur l’impact du leadership, une réflexion qui trouve un écho particulier en ces temps où le système politique américain semble être fortement remis en cause, de par son incapacité chronique à légiférer et les luttes partisanes intraitables entre républicains et démocrates au Congrès, avec en toile de fond un président Obama au leadership absent, qui semble incapable d’influer sur les débats et de participer au nécessaire travail de compromis.

Avant de juj9933ger le travail du président Obama, Joseph Nye essaye de quantifier le rôle des présidents dans les différences phases d’expansion de la puissance américaine. En étudiant huit présidences différentes, de Theodore Roosevelt à Ronald Reagan, Nye nous offre une grille de lecture novatrice des types de présidence qui apporte une vraie valeur ajoutée aux études précédentes. Nye catégorise les présidents par leur style de leadership et pose par là même la question de l’efficacité de certains modes de direction, tout en ne perdant pas de vue l’importance de la variable de l’« attribution erronée au leader » (de succès ou de torts). Derrière cette notion d’efficacité se cache le désir d’aller au fond du problème : dans quelle mesure le président a-t-il influé sur le déroulement de certaines situations ?

Ici, Nye prend à rebours les grands sondages menés auprès de spécialistes de la présidence sur les « meilleurs présidents américains de l’histoire », en mettant en avant l’impact du leadership de présidents aux méthodes transactionnelles comme Dwight Eisenhower et George H. Bush, par rapport aux présidents « transformationnels » qu’ont été Franklin Roosevelt ou Ronald Reagan, qui ont cherché à être à la base de changements majeurs, sans toutefois y parvenir – Nye considérant notamment que Reagan n’a fait qu’accélérer le processus de chute de l’URSS. À l’appui de sa démonstration, Nye fait intervenir deux véritables nouveautés – à l’apport contrasté – dans les études sur la présidence : l’auteur cite l’« intelligence contextuelle » comme facteur différenciant les présidents qu’il juge comme ayant été influents, mettant ainsi en avant la capacité des présidents à prendre des décisions en fonction de situations données et à les mettre en œuvre ; de manière plus controversée, Nye essaie de renforcer l’importance de cette intelligence contextuelle en imaginant des scénarios d’histoire contrefactuelle. Sur le mode de Niall Ferguson, Nye réécrit et réinterprète l’histoire, en imaginant par exemple ce qui se serait passé si Harry Truman n’avait pas été élu. Cet exercice, mené avec brio même s’il reste méthodologiquement contestable, contribue à mettre au centre du livre l’importance du processus décisionnel, renforçant par là même la centralité du leadership et de la présidence au sein du système politique américain. Surprenante d’un point de vue historique et méthodologique, la démonstration de Nye est complétée par un travail argumenté de notation de la dimension éthique des présidences étudiées.

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