Cette recension est issue de Politique étrangère (4/2013). Emmanuelle Le Texier propose une analyse de l’ouvrage d’Alain Rouquié – Le Mexique. Un état nord-américain (Paris, Fayard, 2013, 496 pages).
Alain Rouquié aime à citer l’écrivain mexicain Carlos Fuentes : « L’Argentine a un commencement, le Mexique a des origines. » Le latino-américaniste, distingué en 1987 par la publication d’Introduction à l’Extrême-Occident (Paris, Seuil), a aussi embrassé une carrière de diplomate, au Salvador en 1984 puis dans d’autres pays d’Amérique latine. Il offre une nouvelle somme sur le Mexique. L’absence de point d’interrogation pour ponctuer le sous-titre affirme déjà que la relation avec le voisin du Nord, avec un passé toujours présent où la mémoire de l’annexion subsiste, est centrale pour la compréhension du Mexique contemporain.
Alors que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) fêtera ses 20 ans en 2014, on s’attend à ce que le livre revienne sur la rupture « historique » de 1994 et ses suites : l’entrée dans le « premier monde », celui de la globalisation et de l’interpénétration économique avec les États-Unis ; et les soulèvements au Chiapas liés aux changements agraires, à l’explosion du secteur informel et de l’exode rural. Mais Alain Rouquié choisit un long détour par le passé, depuis la guerre d’indépendance du xixe siècle qui oppose libéraux et conservateurs à la révolution de 1910 qui pose les fondations du Mexique contemporain. Face à ces muchos Méxicos (plusieurs Mexiques), l’auteur alterne description de la complexité de l’histoire nationale interne et approche de la relation spéciale entre le Mexique et l’« autre côté » (annexion, interdépendance, mais aussi pays « charnière ») : « La contiguïté et l’asymétrie entre deux États ne font pas forcément bon ménage. » La grande période du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) – pour lequel Alain Rouquié ne cache pas une certaine admiration – fait l’objet d’une analyse extensive. Le succès du PRI est celui de l’intelligence politique de la grande période (1945-1976), qui parvient à consolider la pérennité du régime par un système d’« alternance pendulaire gauche/droite » au sein même du parti, et donc une certaine stabilité dans un environnement régional troublé.
Cette période aura permis un développement économique extraordinaire mais dans le cadre d’un modèle autoritaire, corporatiste et clientéliste qui arrive à bout de souffle dans les années 1970. Le modèle de « substitution aux importations » commence progressivement à être démantelé sous la présidence de Carlos Salinas, qui saisit le libéralisme comme une opportunité d’intégration nord-américaine. Le « grand basculement » ouvre l’économie nationale par la libéralisation, mais l’ouverture politique reste, elle, plus que limitée. Progressivement, elle va pourtant permettre l’alternance de 1997, puis la présidentielle de 2000 et l’arrivée au pouvoir du Parti d’action nationale (PAN). Ces deux sexennats ont connu une dérive sécuritaire qui pourrait expliquer le retour au PRI en 2012 – parti du « retour au calme » pour une « république entravée » et pour une « puissance régionale effacée ».
Emmanuelle Le Texier
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