Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Yves Gounin propose ici une analyse de l’ouvrage dirigé par Frédéric Ramel (avec la collaboration d’Aghiad Ghanem), Espace mondial(Sciences po, 2024, 476 pages).
« Espace mondial » est à la fois le titre d’un manuel et celui du cours magistral que Frédéric Ramel dispense en deuxième année à Sciences Po Paris. Ce cours est l’héritier d’une réforme de Sciences Po concomitante à la chute du mur de Berlin. La vieille « géopolitique » y avait été rebaptisée « Grandes lignes de partage du monde contemporain ». L’approche se voulait interdisciplinaire et entendait échapper au monopole que les historiens exerçaient depuis Renouvin et Duroselle sur le champ des relations internationales en France. Un atelier de cartographie fut créé à Sciences Po, avec Marie-Françoise Durand comme figure tutélaire. Aujourd’hui encore, l’atlas qu’il publie figure au nombre des ouvrages de référence que tout bon étudiant à Sciences Po se doit de connaître.
Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études pour les relations franco-allemandes à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d‘Ilko-Sascha Kowalczuk,Freiheitsschock. Eine andere Geschichte Ostdeutschlands von 1989 bis heute (C. H. Beck, 2024, 240 pages).
L’historien Ilko-Sascha Kowalczuk revient ici sur l’histoire de l’Allemagne de l’Est depuis 1989. Dans son plaidoyer pour la liberté et la responsabilité individuelle, l’auteur explique comment l’Allemagne de l’Est s’est développée depuis 1989 et pourquoi, malgré le succès de la « révolution pacifique » de 1989-1990, c’est dans cette partie de l’Allemagne que le modèle de la démocratie libérale risque de s’effondrer. L’historien s’appuie sur des décennies de recherche, d’analyse et de publications antérieures, parmi lesquelles Die Übernahme (2019), Endspiel (2009), ou plus récemment une biographie du dirigeant communiste est-allemand Walter Ulbricht en deux volumes, parus en 2023 et 2024 (la première biographie scientifique consacrée au personnage).
Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Frédéric Munier, professeur de géopolitique à SKEMA Business School, propose une analyse de l’ouvrage de Laurence Badel,Écrire l’histoire des relations internationales. Genèses, concepts, perspectives. XVIIIe-XXIe siècle (Armand Colin, 2024, 296 pages).
C’est peu dire que, en une trentaine d’années, le champ de l’histoire des relations internationales (RI) a connu d’importants changements, tant dans ses perspectives que dans sa méthodologie. Le livre de Laurence Badel relève le défi de rendre compte de la profusion de la recherche en ce domaine, sous le double sceau de l’exigence scientifique et de la clarté pédagogique. L’ouvrage se présente comme une réflexion historiographique et épistémologique visant à « rassembler et ordonner les réflexions qui se sont succédé » ; une œuvre d’historienne donc et non de politiste.
Passée l’introduction, Laurence Badel ordonne son propos autour de six chapitres denses. Les deux premiers dressent un panorama passionnant de l’essor de l’histoire des RI, de l’histoire diplomatique – qui puise sa source dans l’étude juridique des traités – à l’histoire nationale des RI, marquée notamment par l’influence de l’école historique allemande et son fameux impératif de décrire les choses « telles qu’elles se sont passées ». Mais c’est bien l’expérience de la Première Guerre mondiale qui a donné forme à l’histoire moderne des RI, notamment par le recours à la pluridisciplinarité. Dans cette vaste fresque, Laurence Badel navigue avec un certain bonheur au sein des différentes traditions nationales européennes en soulignant les porosités entre les travaux des think tanks, les recherches en RI, les travaux d’historiens proprement dits, jusqu’à évoquer l’influence actuelle du numérique.
Dans les chapitres suivants, Laurence Badel illustre avec une très grande clarté le renouvellement de la recherche historique dans le domaine des RI. Alors que pour Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle – et leur classique Introduction à l’histoire des relations internationales – il ne faisait aucun doute que l’étude des « forces profondes » qui animaient l’histoire des RI devait se focaliser sur les États et les hommes d’État, on assiste depuis une génération à une série de remises en cause ou d’approfondissements des cadres traditionnels d’analyse. C’est le cas des « catégories de l’international » (chapitre 3) ; les périodisations ont été réinterrogées, les appellations géographiques désoccidentalisées. Les « figures de l’international » (chapitre 4) ne se limitent plus aux chefs d’État mais comptent désormais dans leurs rangs celles du médiateur, de l’expert, du militant, sans oublier les femmes. Les liens entre les individus et la structure, l’« agentivité », mais aussi l’importance des émotions ont été mis en valeur. Il en est de même concernant les « lieux de l’international » (chapitre 5) ; si les États ont gardé une place prééminente, il faut compter aujourd’hui sur les entreprises, les fondations, les lieux sportifs ou médiatiques mais aussi la rue. Le dernier chapitre s’intéresse enfin à un objet original et négligé mais pourtant au cœur de l’histoire des RI : le corps.
On sort de la lecture de cet ouvrage avec l’impression d’avoir entre les mains à la fois un livre de référence en historiographie et une boîte à outils pour s’orienter dans le domaine de la recherche ; en somme, un bilan et une invitation à aller plus loin. Comme l’avait noté en son temps Georges Duby, « l’histoire continue ».
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