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Willy Brandt

Willy

Politique étrangère (2/2014). Yann-Sven Rittelmeyer propose une analyse de l’ouvrage d’Hélène Miard-Delacroix, Willy Brandt (Paris, Fayard, 2013, 350 pages).

Rythmée par l’histoire de l’Allemagne du xxe siècle, la vie de Willy Brandt a elle-même fortement marqué l’histoire de son pays, même s’il ne resta chancelier qu’un peu plus de quatre années. Outre la République fédérale, il a laissé une forte empreinte sur la ville-État de Berlin dont il fut maire de 1957 à 1966, mais aussi sur le Parti social-démocrate (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD) qu’il dirigea pendant 23 ans.

Plus d’un siècle après sa naissance, Brandt reste l’une des principales figures de l’histoire du plus ancien parti allemand. S’il contribua à transformer le SPD lors du tournant de Bad Godesberg, puis parvint à le ramener au pouvoir après plusieurs décennies d’opposition, ses rapports avec son parti ont souvent été difficiles. L’image de Brandt est liée à la social-démocratie, à l’Ostpolitik, ou encore au symbole fort que constitua son agenouillement devant le mémorial du ghetto de Varsovie. Pour autant, sa trajectoire fut particulière à bien des égards. Dans cet ouvrage, Hélène Miard-Delacroix, professeur à l’université Paris-Sorbonne et spécialiste de l’histoire de l’Allemagne contemporaine, souligne remarquablement les revirements, les combats et les doutes qui ont façonné son parcours. Dissident à gauche du SPD dans sa jeunesse puis acteur d’une politique économique très au centre, résistant exilé durant la Seconde Guerre mondiale qui fut déchu de la nationalité allemande et abandonna son nom de naissance (Herbert Frahm), anticommuniste qui décida de tendre la main à l’Union soviétique et de nouer des accords avec la « partie Est » de l’Allemagne…

La lecture de cette biographie, au-delà des enseignements sur la vie d’un homme, illustre les problématiques traversant l’identité allemande et le rapport des Allemands à leur passé. Les critiques et attaques dont Brandt fut l’objet au cours de sa carrière politique (pour s’être exilé, avoir trouvé soutien et attache dans un autre État, ou pour ses penchants marxistes de jeunesse) font écho à la difficile reconstruction identitaire des Allemands après la Seconde Guerre mondiale. Brandt contribua lui-même à ce débat en rejetant l’idée d’une culpabilité collective pour lui préférer la responsabilité personnelle de chacun des Allemands et les obligations qui en découlent.

Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle

Traiter avec le diableCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Thomas Gomart propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Grosser, Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au xxie siècle, (Paris, Odile Jacob, 2013, 368 pages).

Historien des relations internationales reconnu pour la qualité et la densité de ses travaux sur la guerre froide, enseignant à Sciences Po, Pierre Grosser s’est également frotté aux pratiques diplomatiques comme directeur des études de l’Institut diplomatique et consulaire (IDC) du ministère des Affaires étrangères (2001-2009). Il nous livre un essai ambitieux sur la raison d’être de la diplomatie : parler avec l’ennemi. L’auteur s’interroge ainsi sur les processus de diabolisation de l’adversaire et les impasses auxquels ces derniers conduisent le plus souvent. Il entend identifier les « prismes cognitifs » qui bloquent la relation à l’autre une fois celui-ci diabolisé : « Il s’agit de mettre le doigt sur les perceptions et les raisonnements qui, loin d’éclairer l’action politique, l’entraînent sur des voies potentiellement dangereuses ».

Le plus court chemin vers la diabolisation est l’assimilation à la figure de Adolf Hitler. Référence obsédante, le masque de Hitler fut posé sur Joseph Staline, Gamal Abdel Nasser, Slobodan Milošević ou, plus récemment, Mahmoud Ahmadinejad. Considérée comme la « bonne guerre » par excellence, la Seconde Guerre mondiale sert de matrice à la diabolisation en fournissant des références sans cesse utilisées par les décideurs politiques ou médiatiques en quête de justifications historiques et morales. Cette approche fait écho à des travaux déjà anciens sur l’instrumentalisation de la mémoire[1]. La polarisation sur la Seconde Guerre mondiale s’explique par le conflit de valeurs entre belligérants, profondément marqué par la « solution finale ». L’enchaînement des causes et la contribution de chacun font l’objet d’une réflexion historiographique et d’une exploitation politique jamais achevées. Les mécanismes de diabolisation fonctionnent à partir d’une (dis)qualification morale qui fige mentalement le jugement et, partant, les situations rendent ainsi « difficiles les interactions avec l’ennemi, une fois que celui-ci a été diabolisé ». Le propos de Grosser rejoint celui d’autres historiens des relations internationales, qui conduisent depuis plusieurs années des travaux sur les attitudes mentales et les images de l’autre, attitudes et images qui jouent inévitablement sur les processus de décision[2].

L’ouvrage est construit en trois grandes parties. La première, « Les leçons de l’histoire », revient en détail sur le complexe de Munich et les syndromes de Suez et du Vietnam. Maîtrisant parfaitement l’historiographie internationale sur ces sujets complexes, Grosser invite à la plus grande prudence dans l’utilisation des références historiques. Il convient d’avoir une conscience aiguë des limites du savoir et du raisonnement historiques. Vœu pieux ? Sans doute, quand on voit comment les décideurs dupent volontairement, ou se dupent inconsciemment, en recourant à des analogies historiques pour justifier une décision. Une des premières tâches de l’histoire des relations internationales est de déconstruire ces mythes, et de pointer les anachronismes, qui biaisent souvent les premières analyses d’une crise. Or il n’y a pas de gestion de crise sans formulation sérieuse des enjeux initiaux.

L’exemple de Munich, « repoussoir absolu », sorte d’arme d’annihilation du débat, permet de fustiger un adversaire politique en l’accusant de mollesse ou de manque de clairvoyance : « La référence à Munich permet d’analyser une situation, de prédire le futur, et d’imposer une solution. » Cette référence a été utilisée par les autorités américaines pour intervenir en Corée, au Vietnam ou à Cuba. Elle est souvent à l’origine d’un argumentaire visant à expliquer que le plus sûr moyen de prévenir un massacre de masse est d’intervenir de manière préventive, « voire d’éliminer le diable ». Un des mérites de l’ouvrage de Grosser est de permettre de comprendre Munich dans son contexte historique et dans son exploitation historiographique ou politique, pour savoir quoi répondre à celles et ceux qui pourraient vous traiter de Neville Chamberlain ou d’Édouard Daladier…

PE 1/2014 dans les Reflets du Temps, « un chef d’oeuvre du genre » !

Reflets du tempsMartine L. Petauton, rédactrice en chef des Reflets du Temps, signe une recension élogieuse du numéro 1/2014 de Politique étrangère consacré à la Grande Guerre.

Vous pouvez lire l’article original ici.

Commémoration de la Guerre 1914-1918 ; livres à foison, milliers d’articles ; essais parfois difficiles pour apporter un regard neuf, voire inédit sur ce qui marque si terriblement l’entrée dans le XXème siècle. Surtout – commémoration oblige – risques divers de se laisser happer par l’émotionnel de l’image, du son, et – plus grave – d’entonner un consensus guerrier ou outrancièrement pacifiste, sans compter les sirènes des vibrato nationalistes à la sauce populiste…

C’est là que ce numéro spécial de PE/IFRI est un chef-d’œuvre du genre. Pas moins. La fonction essentielle d’une discipline – l’Histoire – y est particulièrement honorée dans tous les articles – de fond, comme d’habitude ici : « utiliser le passé pour comprendre le présent et se préparer à l’avenir ».

Certes, on en apprend – ou réapprend, sur ces 4 années de boucherie : 65 millions d’hommes mobilisés, 9 millions de tués, 20 millions de blessés, une à deux générations quasi totalement traumatisées…

L’été 14 est mis, comme il se doit, au centre de la table d’autopsie, notamment, par une excellente recension sur « Les somnambules » de Christopher Clark (2013). Plusieurs articles fouillés éclairent « la redéfinition de la guerre »ou « l’armée française et la révolution militaire » ; les moyens : « puissance incroyable de feu, nouveaux outils – chars, avions ». Modernité/hécatombe, terrible balancement qui n’est pas sans faire penser à celui du nucléaire qui suivra. Les erreurs énormes, assises sur leur socle d’obstinations ; les « théories de la guerre » ; redéfinir « la stratégie et lui donner une dimension politique ».

Particulièrement éclairé par plusieurs articles, et à bon droit, la faille, le contre-sens des Traités de paix : les leçons, là, font consensus : « le système diplomatique doit devenir contractuel ; les vaincus ne doivent pas être condamnés ni exclus mais intégrés à la paix des vainqueurs ; une mise à plat de ce qui s’est produit doit avoir lieu ; (la der des ders” ; guerre totale ? Paix totale ?) ».

Mais, l’héritage, la trajectoire, l’après – le maintenant ; le « quoi faire de 14/18 et comment vivre avec ce morceau d’Histoire en besace » est le cœur passionnant et novateur de ce numéro de PE. Ainsi, « États souverains, mondialisation et régionalisme » souligne que « nos pratiques actuelles naissent là : universalité des droits de l’homme, construction collective d’une sécurité, normes juridiques se voulant universelles… un état-nation réaffirmé, redessiné, et en prise avec l’international ».

Prospective appuyée depuis le balcon des années 20, sur l’Entre-deux Guerres ; la genèse de 40 étant bien évidemment dans les faits – peut-être plus encore, les têtes et les mentalités, et surtout les imaginaires de tous, concernant celle qui porte seule le nom de « Grande Guerre » (« à Verdun, du 21 Février 1916 au mois de Décembre 1916, un mort toutes les minutes du jour et de la nuit »). Plus en aval, descendant le fleuve jusqu’à nos pieds, « d’une démilitarisation, et son cortège de pacifisme, l’autre– la nôtre, l’européenne actuelle » : « de la canonnière d’Agadir à la Grande Guerre, du pacte Briand-Kellog au pacte Molotov Ribbentrop, des premières crises de la Guerre froide jusqu’à la détente, l’Europe s’est militarisée et démilitarisée au gré des circonstances… ».

Un « regard américain sur cette démilitarisation » est également proposé ; voir, aussi d’ailleurs : nécessaires postures historiques propres à la philosophie des revues de l’IFRI. Décentrage – fort utilement – des analyses habituellement européo-centrées, dans des articles-bijoux, tels que « le syndrome de Sèvres en Turquie, depuis 1920 », le parallèle pour les Asiatiques entre la géopolitique des années 14 et « l’exacerbation du nationalisme en Asie de nos jours », la « balkanisation du Moyen-Orient » des années 20 à maintenant » – remarquable – étant, pour autant, sujet plus connu de tous.

On aura compris que tous les articles charpentant cette pépite IFRI/PE du printemps – tous, jusqu’aux conseils de lectures de la fin – sont de haute valeur, et que choisir d’éclairer celui-ci ou celui-là est exercice difficile et surtout porteur d’injustice !

Pour autant, et de façon arbitraire, j’ai été particulièrement intéressée par 3 articles : « la place de l’Europe dans le monde ; d’hier à demain » de notre ancien Ministre de la Défense, Jean-Pierre Chevènement ; billet appuyé sur son récent livre de 2013, « 1914-2014 l’Europe sortie de l’Histoire ». Il y a là un socle historique parfaitement maîtrisé qui peut du coup se permettre d’énoncer des thèses dont le pouvoir de conviction est percutant : ainsi, feu sur l’imagerie de l’enthousiasme « patriotique » ou nationaliste de l’été 14 ; conflit anglo-allemand bien plus que franco-allemand ; lente disqualification de la nation, depuis ; erreurs de la construction européenne. On connaît chez l’ancien ministre, et intellectuel de haut vol, la facette anti-européenne, voire souverainiste que cet article rend plus intelligible, plus convaincante, plus relative aussi, puisque en solide politique, Chevènement propose une autre construction européenne – une « Europe européenne », tirant toutes les leçons de son passé, dans lequel la Guerre de 14 fait particulièrement sens.

Pierre de Senarclens signe un brillant « 1941-2014 nation et nationalisme » qu’en aucun cas nul ne doit se dispenser de lire et méditer. Imaginaires lentement façonnés par tout le XIXème siècle, imprégnés de l’idée de Nation – porteurs, alors, de drapeaux hautement démocratiques. Les deux guerres ont fait voler en éclats fortement disparates les concepts qui vont avec, jusqu’à en dénaturer fortement le sens (quel point commun entre la nation de Valmy et celle, véhiculée ces jours-ci, par le Front National, par exemple ?). Énormes soubresauts actuels des cadres nationaux vécus comme étriqués face à la Globalisation ; mais – paradoxe toujours actif – la démocratie semble avoir du mal à s’émanciper de ce cadre national…

Enfin, voyage – passionnant – en Allemagne, dont – on le sait le passé ne passe pas, nous confirme Hans Stark. Militarisme allemand-Prussien, un temps, décliné à la « sauce » particulière du Nazisme, pacifisme de l’après-guerre, inévitable, accouchant de la « Puissance civile » actuelle (notre regard change du reste sur elle avec cet article). Bundeswehr de l’Allemagne Fédérale, et son histoire…

Véritable mine de réflexions des plus approfondies, et diverses, en capacité de nous équiper – vraiment – pour saisir les traces et les signes de la Grande Guerre face à aujourd’hui, et demain. Un superbe outil que nous donne là, la revue de PE de l’IFRI.

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Der Grosse Krieg. Die Welt 1914-1918

Der Krobe Krieg.jpg.648761Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Michel Drain propose une analyse de l’ouvrage de Herfried Münkler, Der Grosse Krieg. Die Welt 1914-1918 (Berlin, Rowohlt, 2013, 4e édition, 928 pages).

Herfried Münkler présente avec Der Große Krieg (la Grande Guerre) une synthèse très claire sur la Première Guerre mondiale. Bien qu’il n’exploite pas de sources inédites, cet ouvrage donne un éclairage intéressant sur le conflit, vu principalement du côté allemand.

En 1914, trois centres de pouvoir se concurrencent : Guillaume II, le Grand État-Major et le chancelier Bethmann-Hollweg. L’empereur se condamne vite lui-même à l’insignifiance. Après la chute de Bethmann-Hollweg en juillet 1917, le général Ludendorff dispose dans les faits de la totalité du pouvoir jusqu’à la défaite. Le Reichstag, qui débat pendant toute la guerre et qui vote une résolution de paix en juillet 1917, ne joue qu’un rôle d’observateur. L’opinion publique compte, en revanche : on craint de lui avouer que les immenses sacrifices demandés n’ont servi à rien, d’où une constante fuite en avant, qu’illustre la guerre sous-marine à outrance déclenchée début 1917 malgré la perspective de l’intervention américaine. En 1914, l’Allemagne n’est pas sous l’influence d’un militarisme fauteur de guerre, mais le pouvoir politique ne contrôle pas l’État-Major qui peut lui imposer la seule solution militaire efficace à ses yeux : le passage des forces allemandes par la Belgique, alors qu’il déclenche l’entrée en guerre du Royaume-Uni.

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