Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Mohamed-Ali Adraoui propose une analyse de l’ouvrage de Samir Amghar (dir.), Les Islamistes au défi du pouvoir : évolutions d’une idéologie (Paris, Michalon, 2012, 208 pages).
Une idéologie à prétention radicale peut-elle se transformer – surtout lorsqu’elle provient de la sphère religieuse et que son ambition initiale est de soumettre à la vision sacrale de ses militants l’ensemble de l’espace social ?
L’offre islamiste s’est bel et bien installée dans le processus démocratique. L’analyse du spectre des confrontations de l’islam politique aux réalités de l’exercice du pouvoir laisse entrevoir un éventail somme toute large de positionnements, l’environnement étant primordial pour saisir la nature de l’insertion dans le jeu politique. La thèse générale va plutôt dans le sens d’une intégration dans un jeu « pluraliste » parallèlement au maintien d’un discours de défense de l’identité religieuse de la société. Les mouvements islamistes ayant fait le choix de s’inscrire dans un système peu ou prou démocratique ont eu tendance, malgré la persistance de postures pouvant passer pour problématiques, à jouer le jeu du formalisme démocratique.
C’est le cas au Maroc ou au Liban. Le premier a vu l’entrée en politique du Parti de la justice et du développement (PJD) s’accompagner d’une modération tant pour ce qui est de l’acceptation de la norme démocratique que de la reconnaissance du régime monarchique, même si certaines inclinations idéologiques demeurent, notamment lorsque la morale religieuse ou certaines valeurs familiales sont présentées comme menacées. Au pays du cèdre, l’inscription du « Parti de Dieu » dans le jeu démocratique a conduit à mettre en avant la portée nationaliste et sociale du mouvement, relativisant la référence religieuse.
L’évolution se vérifie en partie dans le cas palestinien, où le Hamas doit gérer les contraintes liées au système démocratique et à l’agenda de résistance nationale, et en Turquie, où le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkinma Partisi, AKP) fait pour certains figure d’exemple à suivre, même s’il semble difficile de considérer son expérience comme mécaniquement transposable. La Tunisie fait également écho à cette dynamique puisque l’aggiornamento du mouvement Ennahda est moins présenté comme résultant d’un « agenda caché » que comme le fruit d’une contrainte liée à la transition démocratique, qui l’oblige à agir en « parti de gouvernement ».
Un autre phénomène, observable au Pakistan et au Yémen, semble être l’échec relatif de l’islamisme, si l’on en juge par la déception d’une partie de sa base sociale. Le « dilemme » serait dès lors celui-ci : faut-il revenir à un discours plus radical ou diluer définitivement la visée protestataire pour ne pas aggraver les difficultés socio-économiques et diplomatiques ? Le cas algérien, du fait des événements de 1991, constitue une exception : les spéculations demeurent sur la pratique d’un pouvoir jamais réellement exercé ailleurs qu’au niveau local.
Le dernier chapitre sur les Frères musulmans égyptiens suit plus la propension du mouvement à se fondre dans un système fondé sur la souveraineté du peuple qu’il n’expose l’histoire de son insertion dans un jeu « ouvert ». L’auteur se situe du côté de ceux pour qui les Ikhwan restent une organisation fortement idéologisée, largement incapable de revoir son credo.
Cet ouvrage, fruit de l’apport de chercheurs spécialisés dans l’étude d’un pays précis, vient indéniablement combler un vide à l’heure où d’aucuns craignent l’avènement d’un « printemps islamiste ». L’analyse de l’islam politique au sein d’un État sur un temps long constitue la principale plus-value de ce travail dont les conclusions, certes prudentes, insistent sur la nécessité de concevoir ce phénomène en constante interaction avec son environnement, de manière à saisir l’ampleur de ses mutations actuelles et futures.
Mohamed-Ali Adraoui
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