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Sectarian Politics in the Gulf

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2014). Jean-Loup Samaan propose une analyse de l’ouvrage de Frederic M. Wehrey, Sectarian Politics in the Gulf. From the Iraq War to the Arab Uprisings (Columbia University Press, 2014, 328 pages).

Au travers de trois études de cas (Arabie Saoudite, Koweït et Bahreïn), cet ouvrage retrace la genèse et le développement du conflit entre sunnites et chiites dans le golfe Persique.

Le point de départ pourrait être résumé ainsi : comment trois régimes arabes ayant fait de l’Iran des ayatollahs une menace existentielle négocient-ils le contrat social avec leurs propres populations chiites – en particulier la monarchie bahreïnie où ces dernières sont majoritaires ? Si le livre explore plus particulièrement la période depuis 2003 – soit l’invasion américaine de l’Irak et la chute du régime de Saddam Hussein –, un des premiers chapitres revient sur un épisode clé dans la construction des identités conflictuelles entre sunnites et chiites : la révolution iranienne de 1979. Celle-ci constitue pour Frederic Wehrey le « prisme à travers lequel les chocs extérieurs de la guerre d’Irak et même les soulèvements arabes de 2011 sont filtrés ».

Du Golfe aux banlieues. Le salafisme mondialisé

AdraouiDans cette recension, Amel Boubekeur propose une analyse de l’ouvrage de Mohamed-Ali Adraoui, Du golfe aux banlieues. Le salafisme mondialisé  (Puf, 2013, 248 pages).

Privilégiant une approche ethnographique, Mohamed-Ali Adraoui analyse la manière dont le choix du salafisme par de jeunes musulmans français habitant en banlieue transforme leurs expériences de relégation sociale, politique et économique. De manière judicieuse, l’auteur démontre que le salafisme est capable de s’adapter à divers environnements en proposant à ses adeptes des modes de politisations idoines.

Pour Adraoui, ce sont les facteurs sociaux, plus que l’attrait pour des normes religieuses spécifiques, qui expliquent le choix du salafisme en France. En devenant salafis, les adeptes substituent au sentiment d’impuissance né de leur exclusion des espaces majoritaires une désocialisation assumée et valorisante. Plutôt que d’accepter l’étiquette de banlieusards culturellement inadaptables, ils choisissent de devenir des musulmans véridiques, persécutés car leur foi authentique contrevient à l’ordre majoritaire impie. Les controverses cycliques sur le voile, l’islamophobie ou les caricatures du prophète Mohammed seraient les manifestations probantes de ce complot. Le mode de vie salafi, avec ses phrases ponctuées de mots arabes et ses longues tuniques orientales, devient un moyen de renouer avec la culture de leurs parents – majoritairement originaires d’Afrique du Nord – dépréciée par l’expérience migratoire. Pour les convertis salafis d’origine antillaise, portugaise et espagnole, pouvoir être ostensiblement croyant est aussi une occasion d’assumer la continuité d’un engagement postchrétien souvent raillé dans l’espace séculaire. Le caractère ultra-minoritaire du salafisme face à la masse de musulmans ayant délaissé le vrai islam devient le signe que l’on est à l’avant-garde du vrai islam, élu de Dieu. Contrairement aux autres mouvements islamiques, les salafis savourent le fait d’être des happy few et, en conséquence, ne s’engagent pas dans une prédication de masse visant à convaincre l’humanité du bien-fondé de leur pratique.

Baas et islam en Syrie

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2012). Judith Cahen propose une analyse de l’ouvrage de Thomas Pierret, Baas et islam en Syrie. La dysnastie Assad face aux oulémas (Paris, PUF, 2011, 336 pages).

De tous les régimes arabes contemporains, l’autocratie syrienne est probablement celui qui présente le plus de contradictions et qui a mis en place un des systèmes politiques les plus opaques de la région. Pourtant, bien avant que le parti Baas devienne parti unique, le projet des hommes politiques syriens était laïc, socialiste et panarabe ; et au milieu du XXe siècle, ce pays était, avec l’Égypte et la Jordanie, un des fers de lance des guerres de libération des territoires occupés par Israël.
En politique intérieure, la prise du pouvoir par Hafez Al-Assad aura permis de cultiver répression et mensonge d’État. Régionalement, la Syrie a arrêté de lutter pour récupérer les territoires perdus depuis la fin du mandat français (du sandjak d’Alexandrette au nord jusqu’au plateau du Golan au sud) mais aussi de soutenir la cause palestinienne. Ses changements d’alliances militaires au Liban, avec la Turquie ou l’Iran, son soutien à la coalition occidentale lors de la guerre du Golfe (1991) ou plus récemment sa coopération avec les États-Unis dans la lutte contre Al-Qaida font d’elle un pays craint ou admiré.
Les « années de plomb » de la décennie 1980-1990 ont laissé une trace indélébile de peur et de soumission dans la mémoire collective syrienne. Jusqu’aux événements de Deraa en mars 2011: dans cette ville du Hauran, région située entre Damas et la frontière jordanienne, la mort d’un adolescent tué par les forces de l’ordre déclenche la révolte qui s’étend aujourd’hui à toutes les grandes villes.
Thomas Pierret comble un vide de la recherche francophone en se penchant sur « l’établissement d’un partenariat ambigu entre le régime et une partie croissante du clergé [ainsi que sur] le rapprochement opéré par le pouvoir baasiste avec ses anciens ennemis, les élites urbaines ». S’il fonde son analyse sur les travaux d’autres chercheurs tels que Volker Perthes, Joseph Bahout, Sakina Boukhaima ou plus récemment Sari Hanafi, l’intérêt de son travail repose en grande partie sur sa monographie de l’élite religieuse savante, qui a su s’adapter aux changements sociaux et à l’autoritarisme baasiste tout en tirant parti du clientélisme ambiant. Parallèlement, T. Pierret explique clairement comment le régime, bien que dominé par la minorité alaouite, a su tisser des liens étroits avec les clercs sunnites par lesquels il a fini par se faire légitimer, sans même avoir recours à une politique délibérée et méthodique de manipulation. Car en Syrie comme ailleurs dans le Machrek, le retour à un piétisme dépolitisé s’est effectué pas à pas et dans un contexte globalisé de transformation de l’autorité religieuse dans les sociétés musulmanes contemporaines. Cette enquête minutieuse sur l’élite religieuse qui, bien que relativement fidèle aux muftis de la République, ne se reconnaît ni dans l’islam officiel damascène ni dans le courant des Frères musulmans syriens en exil offre aux lecteurs une analyse approfondie de la structuration du clergé syrien, des différentes personnalités et confréries qui le composent ou encore de l’environnement sociopolitique des muhafaza (gouvernorats) dans lesquelles il s’est formé.
T. Pierret permet ainsi de comprendre comment les oulémas syriens sont devenus « les acteurs les mieux à même de mobiliser les ressources des entrepreneurs afin de développer l’aide sociale privée dans un contexte d’inégalités croissantes. [… Ils bénéficient] d’un capital symbolique qui pousse désormais les grandes figures du capitalisme de copinage à échanger leur générosité contre l’onction des hommes de religion dans le but de soigner une image écornée ou d’obtenir un siège au Parlement. »
Jusqu’au début des années 2000, l’État a contrôlé et centralisé l’enseignement religieux ; mais ce que l’auteur appelle la « fuite des turbans » vers l’étranger est moins une conséquence de la répression que de la pénurie d’emploi qui touche autant les oulémas que les centaines de milliers de jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail.
L’apport le plus intéressant de l’ouvrage dans la compréhension de la complexité syrienne est l’analyse des raisons pour lesquelles les « ingénieurs pieux » ont choisi de promouvoir des intérêts sectoriels, plutôt que de profiter de l’affaiblissement du régime en 2004-2005 pour « tenter d’imposer de nouveaux pactes politiques ».
Il apporte quelques éléments de réponse aux questions des observateurs des révoltes arabes sur le clergé musulman, un clergé qui, en Syrie, s’est divisé entre oulémas soutenant encore le régime et oulémas s’engageant physiquement et moralement aux côtés des manifestants.

Judith Cahen

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Pierre Rondot : Le Destin des chrétiens d’Orient

Dans cet article écrit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (paru dans Politique étrangère en 1946), Pierre Rondot analyse l’évolution de la situation des chrétiens vivant en terre d’Islam. Protégés par les puissances européennes, ils ont pu survivre malgré les discriminations subies et même développer une élite intellectuelle qui a pris la tête du « mouvement arabe » dès la seconde moitié du XIXe siècle. Si la présence chrétienne est loin d’être acceptée dans l’ensemble du monde musulman, le Liban et son système de représentation proportionnelle font alors figure d’« heureuse expérience ».

Observateur aigu de l’opinion française, Henri Heine notait, en 1840, que « tout Paris avait tressailli au son du canon de Beyrouth ». En mai et juin derniers, c’est une émotion analogue que les événements de Syrie, malgré tant d’autres soucis bien lourds, ont provoquée dans toute la France. Notre diplomatie s’est efforcée, depuis lors, d’édaircir la situation au Levant ; d’ores et déjà, un important accord franco-britannique a pu être réalisé ; néanmoins, cette profonde émotion n’a point complètement disparu. La défense d’intérêts français légitimes, en effet, n’est pas seule en jeu ; beaucoup de voix autorisées ont rappelé à la France qu’il s’agissait pour elle de l’accomplissement d’une mission sacrée, car sa présence dans le Levant a constamment été associée à la sauvegarde des chrétientés d’Orient.


C’est, en effet, en témoignage de cette œuvre séculaire que fut confié à notre pays, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le mandat sur la Syrie et le Liban. Pour tenter de discerner comment peut et doit, dans les difficiles circonstances présentes, continuer de s’exercer la vocation de la France au Levant, il ne suffirait donc pas de soumettre à la critique la tâche accomplie durant ces vingt années de mandat, si courtes, et parfois si gravement troublées. Il y aurait quelque danger à repenser rétrospectivement notre politique dans le seul cadre d’une formule dès l’origine provisoire et désormais dépassée. Au demeurant, cette enquête ne nous livrerait que les éléments les plus récents, les plus instables, d’un problème qui ne peut être dominé que dans son ensemble historique et social.
Si austère, si peu actuel que cet effort puisse paraître, il nous faut donc remonter jusqu’aux origines des sociétés chrétiennes du Levant. Le lent développement de leurs rapports avec l’Islam comme avec l’Occident peut seul nous faire comprendre combien est complexe leur actuel équilibre et de quels éléments contradictoires et indissolubles il est issu. Au terme de cet examen, nous apercevrons clairement les dangers de ces solutions simplistes, dont l’air de générosité ou de facilité abuse trop souvent ; mais peut-être discernerons-nous aussi, dans l’écheveau du réel, les quelques fils solides encore qui s’offrent au choix des politiques.

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