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1 an après Fukushima : 3 questions au directeur général adjoint de l’AIEA

Denis Flory est directeur général adjoint de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont il dirige le département de sûreté et de sécurité nucléaire. Il a rédigé un article intitulé  » Coopération internationale et sûreté nucléaire  » paru dans le n° 4/2011 de Politique étrangère. Il répond à trois questions, en exclusivité pour politique-etrangere.com.

Comment expliquer la catastrophe de Fukushima ?

Il faudra plusieurs années pour tirer toutes les leçons de l’accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Pour mémoire, il a fallu six ans pour évaluer l’état du combustible à l’intérieur du réacteur de la centrale de Three Mile Island [suite à l’incident de 1979]. Des premières leçons à caractère global sont cependant déjà disponibles, tirées des rapports du gouvernement et de la commission d’enquête japonais, des rapports des trois missions internationales envoyées par l’AIEA au Japon et des diverses communications des autorités et des experts nippons.
La première leçon est que, pour des raisons d’organisation générale de la sûreté au Japon, les connaissances récentes sur le risque sismique et les tsunamis associés, disponibles au sein de la communauté scientifique japonaise, n’ont pas été prises en compte. Au Japon, seuls les enregistrements sismiques récents (limités au XIXe siècle) ont été utilisés par l’exploitant TEPCO pour définir le séisme et le tsunami contre lesquels la centrale devait être protégée, contrairement aux normes de sûreté édictées par l’AIEA, qui demandent de remonter jusqu’à l’ère préhistorique et d’étudier les caractéristiques géologiques. L’absence d’un contrôle indépendant et fort de l’autorité de sûreté sur cette évaluation a conduit à sous-estimer la hauteur et la force du tsunami. Par ailleurs, la conception de la centrale (élévation au-dessus de l’eau des générateurs de secours et de leurs connections, absence d’étanchéité des portes des bâtiments, etc.) a conduit à perdre simultanément toutes les protections par un effet  » falaise « , une fois que la protection contre le tsunami a été débordée. À cela, il faut ajouter le faible niveau de préparation à la gestion des accidents graves au sein de la centrale de Fukushima et plus largement au niveau national.

Comment la coopération internationale en matière de sûreté nucléaire a-t-elle évolué depuis l’accident de Fukushima ?

L’accident de Fukushima a créé un choc en rappelant qu’un accident nucléaire est toujours possible. La communauté internationale s’est fortement mobilisée pour renforcer la sûreté au niveau mondial sur deux axes : rendre nettement plus improbable la survenue d’un accident dans une centrale nucléaire et renforcer la préparation des États et des exploitants nucléaires à la gestion d’un accident, afin d’en minimiser les conséquences pour l’homme et l’environnement s’il survenait.
La majorité des États dotés de centrales nucléaires a entamé un processus d’évaluations complémentaires de sûreté (stress tests), afin d’estimer la résistance de leurs centrales à des événements extrêmes, combinés, tels que la perte totale et prolongée de l’alimentation électrique ou du refroidissement.
Les services d’examen par les pairs organisés par l’AIEA, que ce soit pour évaluer l’efficacité des autorités de sûreté, la sûreté en exploitation des centrales nucléaires et leur conception, la sûreté des sites, ou encore le niveau de préparation à la gestion des situations d’urgence radiologique, ont été renforcés depuis l’accident. Ils font l’objet d’une attention et d’une demande accrue de la part des États membres de l’AIEA.
Enfin, la coopération entre l’AIEA et les organisations intergouvernementales compétentes (transport, météorologie, réseau de mesures de radioactivité, etc.) ou encore avec l’association mondiale des exploitants de centrales nucléaires a été renforcée.

Un nouveau Fukushima est-il possible ?

Les 152 États membres de l’AIEA ont adopté en septembre 2011 un ambitieux plan d’action sur la sûreté nucléaire dont la mise en œuvre va renforcer le cadre global de la sûreté, à tous les niveaux : national, régional et international. Ce plan concerne les États, les autorités de sûreté, les exploitants nucléaires, les organismes scientifiques de sûreté… de fait, toutes les parties prenantes de l’énergie nucléaire.
Les domaines pris en compte par ce plan d’action couvrent les normes internationales de sûreté, le cadre légal international, la formation et le maintien des compétences, la préparation à la gestion des situations d’urgence, la communication et la transmission des informations.
L’un des éléments les plus importants de ce plan d’action est le renforcement de la transparence sur les missions d’évaluation par les pairs, qui est un puissant levier pour une amélioration continue de la sûreté.
Je suis convaincu que la sûreté sort renforcée des leçons tirées de l’accident de Fukushima. Il ne faudra surtout pas les oublier ; seule une amélioration constante de la sûreté peut éviter la survenue d’accidents aux conséquences dommageables pour l’homme et l’environnement.

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[L’actualité revisitée] Il y a 25 ans : Tchernobyl

 

Nous republions, à l’occasion du 25ème anniversaire de l’accident nucléaire de Tchernobyl et quelques semaines après la catastrophe de Fukushima, un article paru dans Politique étrangère en 1986. Cet article, intitulé « Tchernobyl et le problème des obligations internationales relatives aux accidents nucléaires« , a été écrit par Pierre Strohl, alors directeur général adjoint de l’agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire.


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Si un moralisateur avait voulu donner une leçon de coopération internationale aux hommes, il aurait pu imaginer l’accident du réacteur de Tchernobyl : le plus grave que l’électronucléaire ait connu, le seul qui ait provoqué une contamination radioactive dans plusieurs pays autres que celui où il est survenu et dont les effets, pour y mettre le comble, aient traversé la frontière politique entre l’Europe socialiste et l’Europe libérale. Bref, le premier qui ait brutalement mis à l’épreuve ce que l’on peut appeler « le droit nucléaire international », c’est-à-dire l’ensemble des accords, directives, normes, recommandations, guides et codes de pratiques que les Etats ont élaborés, notamment pour prévenir les accidents nucléaires et faire face à leurs conséquences.

Hélas, l’événement a laissé l’impression inquiétante que les mécanismes internationaux n’ont pas, ou ont mal fonctionné. Dans tous les pays contaminés par la radioactivité émise par le réacteur de Tchernobyl — ceux qui produisent de l’électricité nucléaire ou envisagent de le faire, comme ceux qui voient des installations nucléaires fonctionner ou s’ériger à distance plus ou moins grande de leurs frontières —, l’opinion publique s’est posé les mêmes questions simples : quelles sont les obligations de prévenir immédiatement les autorités des pays voisins d’un risque de pollution radioactive à la suite d’un accident ? Quelles sont les dispositions prises pour organiser une assistance internationale en vue d’en limiter les conséquences ? Quelles sont les règles qui déterminent les mesures d’urgence à prendre afin de protéger les populations et l’environnement contre la contamination radioactive ? Existe-t-il des normes internationales de sûreté ayant pour objet de prévenir les risques d’accident dans les installations nucléaires ? Comment sont réparés les dommages qui ont été causés à une échelle internationale ? La conclusion s’est apparemment imposée que les réponses à ces questions ne sont pas très satisfaisantes. Sans remettre en cause l’utilité de l’énergie nucléaire et la possibilité d’en maîtriser les risques, les circonstances qui ont entouré l’accident de Tchernobyl et ses effets démontrent qu’il reste encore beaucoup de lacunes à combler sur le plan international pour que son développement soit mieux accepté. Les nombreuses initiatives qui ont été prises très rapidement en donnent la confirmation et permettent d’affirmer que la leçon a commencé à porter ses fruits. Nous reprendrons les principales questions qui se sont posées dans le cas de Tchernobyl afin d’y voir plus clair sur:

— l’élaboration et l’état des dispositions internationales conçues en vue des accidents nucléaires ;

— la manière dont le droit international peut s’appliquer à l’occasion de cet accident ;

— les directions vers lesquelles va s’orienter un droit international nucléaire rénové. Il est important que nous distinguions, au cours de l’exposé, les dispositions qui concernent les risques d’accident de celles qui réglementent le fonctionnement normal des installations.

Un droit conçu pour le développement de l’énergie nucléaire

Dans sa prime jeunesse, l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire a failli, un court instant, avoir la chance (ou courir le risque) d’être soumise à un régime de propriété et d’exploitation international : c’était le projet américain Lilienthal-Baruch présenté aux Nations Unies en 1946, dont l’objectif était de prévenir les utilisations militaires. Cette idée était sans doute trop utopique pour aboutir et les premières applications civiles ont, au contraire, vu le jour sur un plan purement national, entourées le plus souvent d’une politique du secret empêchant pratiquement le transfert de technologie et de combustibles nucléaires. Une coopération internationale particulièrement active et multiforme a cependant été lancée à la suite de la proposition d’un programme « Atoms for Peace » faite par le général Eisenhover en décembre 1954 et de la conférence de Genève de septembre 1955 où l’essentiel des informations techniques ont été échangées. Trois grandes organisations internationales intergouvernementales ont été créées presque simultanément en 1957-1958 : l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Vienne, à une échelle mondiale ; l’Agence européenne pour l’énergie nucléaire, à Paris, dans le cadre de l’Organisation européenne de coopération économique, c’est-à-dire pour l’Europe occidentale ; et la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). Elles existent toujours à l’heure actuelle avec des compositions élargies et des programmes qui ont évolué au fur et à mesure du développement de l’industrie nucléaire. Leur action est complétée par un grand nombre d’accords bilatéraux ou multilatéraux.

Les buts poursuivis par les gouvernements, dans les trois organisations que nous venons de mentionner, sont multiples, mais assez semblables d’après les textes ; comme elles ont mené leurs actions dans des espaces géographiques et des contextes politiques différents, chacune a trouvé sa vocation propre : l’AIEA a consacré ses princ ipaux efforts à la non-prolifération des armes nucléaires — domaine où le plus grand degré d’internationalisation a été atteint grâce surtout à une entente efficace entre les deux grandes puissances — ainsi qu’à l’assistance technique aux pays en voie de développement ; la vocation initiale de l’Agence européenne était la mise en commun des ressources techniques et financières par la création d’entreprises communes et elle a également joué un rôle de pionnier dans l’harmonisation des législations nucléaires ; dans le sens le plus large, l’objectif d’Euratom était de créer les conditions de développement d’une puissante industrie nucléaire dans la Communauté.

Les priorités de cette coopération ont également varié dans le temps. A partir de la première moitié des années 70, en parallèle avec le mouvement en faveur de la protection de l’environnement, l’accent a été mis davantage sur les questions de sûreté nucléaire et de radioprotection pour lesquelles les trois organisations ont reçu, dès le départ, des compétences étendues. Nous nous concentrerons sur ce type d’activité qui intéresse directement notre sujet.

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[Les grands textes] L’évolution de la doctrine stratégique aux Etats-Unis (H. Kissinger, 1962)

A l’époque où ce texte est publié dans Politique étrangère (n°2, 1962), Henry Kissinger dirige le programme sur les études de Défense à Harvard. Il est marqué par la crise de Berlin qui s’est déroulée en 1961 et cherche à convaincre les Français que leur pays n’est pas en mesure de se défendre seul contre l’Union soviétique, malgré l’acquisition par la France de l’arme nucléaire en 1960. Il plaide pour un rôle renforcé de l’OTAN et pour une mutualisation des moyens nucléaires au sein de cette organisation. Kissinger ne mentionne pas une seule fois la guerre d’Algérie qui, en 1962, touche pourtant à sa fin. Il est obnubilé par le facteur nucléaire, comme s’il pressentait que quelques mois après la publication de ce texte, les Etats-Unis et l’URSS se retrouveraient au bord de l’affrontement nucléaire, à l’occasion de la crise des missiles de Cuba.

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Depuis que je suis à Paris, après cinq semaines passées en Orient, j’ai eu de nombreuses conversations avec des amis français et je dois avouer que je suis frappé par l’étendue du désaccord et de l’incompréhension qui se sont développés entre nos deux pays. Je ne prétends pas fixer les responsabilités de cet état de choses. Je crois cependant qu’étant donné le temps que nous vivons, on ne peut concevoir d’avenir pour l’Occident sans la plus étroite collaboration entre les Etats-Unis et la France. Je ne puis concevoir que l’un ou l’autre de nos deux pays puisse se développer sans l’autre. Je crois que ni l’un ni l’autre de nos deux pays ne pourra éviter la destruction, si l’autre est détruit Je pense que les dangers auxquels nous aurons à faire face ne seront pas seulement le fait de l’Union soviétique ou de la Chine communiste. Je crois qu’au cours des dix ou quinze années qui sont devant nous, toutes les nations occidentales devront tenir compte d’une menace très sérieuse de la part de nouvelles nations, menace qui doit être étudiée avec le plus grand sérieux. Dans ces conditions, nous ne disposons pas de tant de ressource que nous puissions nous permettre de mener entre nous de guerre civile intellectuelle.

Telle est ma conviction personnelle et en conséquence tout ce que je dis doit être interprété comme venant de quelqu’un qui aimerait voir une France forte et la plus étroite relation entre nos deux pays.

Considérons maintenant les problèmes stratégiques qui ont suscité entre nous un certain malentendu. J’exposerai d’abord comment j’interprète la pensée américaine sur l’OTAN et comment la doctrine américaine envisage les divers efforts pour créer des forces nucléaires nationales. La doctrine stratégique américaine et en vérité la situation stratégique à laquelle elle s’appliquait, ont passé par trois ou quatre phases distinctes. La première est la période pendant laquelle les Etats-Unis possédaient le monopole de l’arme atomique et le monopole des moyens de transport de l’arme. Dans la seconde période, les Etats-Unis ne possédaient plus le monopole de l’arme nucléaire mais continuaient pratiquement à posséder le monopole des moyens de transport de l’arme. Dans cette seconde période, les Etats-Unis auraient probablement pu remporter la victoire dans une guerre générale, soit en frappant les premiers avec les armes nucléaires (first strike), soit en frappant les seconds (second strike). Les forces de représailles des Etats-Unis étaient techniquement parlant invulnérables alors que les forces de représailles soviétiques étaient techniquement parlant vulnérables.

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