Étiquette : révolution

Généraux, gangsters et jihadistes

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Denis Bauchard, conseiller au Moyen-Orient pour l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Pierre Filiu, Généraux, gangsters et jihadistes. Histoire de la contre-révolution arabe (La Découverte, 2018, 320 pages).

Récusant le mot « printemps », Jean-Pierre Filiu veut montrer ici comment les « révolutions arabes » initiées par une nouvelle génération qui contestait le nizam, c’est-à-dire tout à la fois des régimes et des systèmes despotiques, ont suscité des réactions violentes des « mamelouks », et comment ceux-ci ont mis fin, au moins provisoirement, à la vague démocratique, sauf en Tunisie.

North Korea’s Hidden Revolution

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Antoine Bondaz propose une analyse de l’ouvrage de Jieun Baek, North Korean’s Hidden Revolution: How the Information Underground Is Transforming a Closed Society (Yale University Press, 2016, 312 pages).

North Korea

Jieun Baek s’attache à analyser l’impact d’un accès croissant à l’information sur la société nord-coréenne. Sa thèse principale est que cette « révolution cachée » déstabilise en profondeur le régime nord-coréen. Alors que les récents événements ont tourné les projecteurs sur le problème nucléaire et balistique et le risque de frappes préventives américaines, cet ouvrage a le mérite de nous rappeler la tragédie humaine en Corée du Nord.

L’islam dans la révolution syrienne : 3 questions à Thomas Pierret

 Thomas Pierret, maître de conférences en islam contemporain à l’université d’Édimbourg, répond à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.
Il vient de publier un ouvrage intitulé Baas et islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas (Paris, PUF, 2011). Il a également rédigé un article intitulé “Syrie : l’islam dans la révolution” paru dans le n° 4/2011 de Politique étrangère.

Quel rôle l’islam joue-t-il dans la révolution en cours en Syrie ?

Il faut distinguer ici entre trois niveaux : culturel, idéologique et organisationnel. L’islam en tant que référent culturel joue un rôle très important dans la révolution syrienne, un phénomène qui reflète la piété d’une grande partie de la société. Les mosquées ont été parmi les tout premiers foyers de manifestations en mars 2011. Pour se donner du courage, les protestataires ont régulièrement entonné des slogans comme « Dieu est grand » ou « Ô Dieu nous n’avons que toi ». Des prières collectives ont été organisées durant les manifestations. En revanche, l’islam en tant qu’idéologie politique articulée (islamisme) est très peu présent dans le discours révolutionnaire : même l’opposition islamiste ne met pas l’accent sur les notions d’État islamique et de charia, alors que ces dernières étaient centrales lors du précédent soulèvement (1979-1982). Enfin, par niveau organisationnel, je fais référence au rôle des leaders religieux et des mouvements islamiques. Certains oulémas (hommes de religion) ont été à l’avant-plan en osant critiquer la répression lors de leurs sermons du vendredi, en démissionnant de leurs fonctions en signe de protestation ou, plus rarement, en devenant membres de comités révolutionnaires locaux. Quant aux mouvements islamistes tels que les Frères musulmans, ils avaient été à peu près complètement éradiqués sous le Ba’th. Par conséquent, si leur poids au sein de l’opposition en exil est considérable, il s’est révélé assez négligeable sur le terrain pendant les 12 premiers mois du soulèvement.

Dans la sphère islamique, les Frères musulmans sont-ils les principaux acteurs de la contestation ?

Jusqu’à présent, les acteurs religieux contestataires les plus visibles à l’intérieur du pays ont été les oulémas qui, à la différence des Frères Musulmans, avaient pignon sur rue et bénéficiaient donc d’une grande notoriété. Les  Frères musulmans occupent une position très marginale sur le terrain puisque cela fait près de 30 ans qu’ils n’ont plus de structures organisées. Ils essaient actuellement de se reconstruire une base populaire en Syrie par le biais de l’envoi d’aide humanitaire et militaire à l’opposition. La répression féroce de l’islam politique par le Ba’th au cours des dernières décennies a également contraint à la marginalité les autres groupes islamistes comme le Parti de la libération islamique, partisan du rétablissement immédiat du Califat, ou le Courant islamique indépendant, un réseau informel d’intellectuels islamistes modérés.
La situation est très différente au sein de l’opposition en exil. Là, s’appuyant sur l’ampleur de leurs réseaux transnationaux et sur leur expérience du travail politique, les Frères musulmans affichent des prétentions hégémoniques. Ils occupent environ un quart des sièges du Conseil national syrien, dont ils constituent la force dominante. Cette position de force est toutefois contestée jusque dans la mouvance islamiste. Elle l’est notamment par le Mouvement Justice et Développement, un parti « démocratique et conservateur » comparable à l’AKP turc, fondé à Londres en 2006. Elle l’est aussi par des islamistes qui n’ont quitté la Syrie qu’après mars 2011 (Haytham al-Malih ou ‘Imad al-Din al-Rashid, fondateur du Courant national syrien) et estiment donc qu’ils sont au moins aussi légitimes que les Frères, basés à l’étranger depuis au moins 30 ans.

Ayman al-Zawahiri a déclaré qu’il soutenait la révolution syrienne. En outre, un groupe djihadiste, Jabhat Al-Nusra Li-Ahl Al-Sham, s’est récemment constitué et des rumeurs circulent au sujet de la libération d’Abu Musab al-Suri. Faut-il craindre que la Syrie devienne un nouveau front d’Al-Qaida ?

La question est éminemment politique puisque le régime syrien use de cette thématique pour délégitimer l’opposition. Après son échec en Irak, il est logique qu’Al-Qaida cherche en Syrie un nouveau terrain de djihad. De ce point de vue, le pays constitue une cible idéale puisqu’un mouvement de contestation majoritairement sunnite y est écrasé dans le sang par un régime alaouite et allié à l’Iran chiite, le tout sous le regard impuissant des pays occidentaux. Malgré cela, Al-Qaida n’est pas (encore ?) devenue un acteur significatif dans le conflit. L’écrasante majorité des opérations menées contre les forces du régime le sont par des brigades se réclamant de l’Armée syrienne libre. Or ces dernières usent d’une symbolique islamo-nationaliste très différente du salafisme-djihadisme d’Al-Qaida. Les efforts de Jabhat al-Nusra (« le Front du soutien ») pour se donner une présence médiatique sont pour l’instant pathétiques : il s’agit d’une une poignée de vidéos de mauvaise qualité et contenant peu d’images originales, si bien qu’elles ne permettent pas de lever les doutes concernant la réalité de cette organisation. L’administration américaine a pointé Al-Qaida du doigt suite aux attentats menés contre les sièges des renseignements syriens à Damas et Alep en décembre et janvier dernier. Les Américains ne savent en réalité pas grand-chose des responsables de ces attentats et l’accusation paraît surtout destinée à permettre à Washington de se laver les mains du dossier syrien. Al-Qaida est certes un coupable potentiel mais les attaques peuvent tout aussi bien être le fait d’opposants non djihadistes. On ne peut pas non plus exclure une manipulation du régime sur le modèle algérien.

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