Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Antoine Bondaz propose une analyse de l’ouvrage de Jieun Baek, North Korean’s Hidden Revolution: How the Information Underground Is Transforming a Closed Society (Yale University Press, 2016, 312 pages).

North Korea

Jieun Baek s’attache à analyser l’impact d’un accès croissant à l’information sur la société nord-coréenne. Sa thèse principale est que cette « révolution cachée » déstabilise en profondeur le régime nord-coréen. Alors que les récents événements ont tourné les projecteurs sur le problème nucléaire et balistique et le risque de frappes préventives américaines, cet ouvrage a le mérite de nous rappeler la tragédie humaine en Corée du Nord.

La spécificité de l’ouvrage, et son principal intérêt, sont qu’il repose sur de nombreux entretiens réalisés avec des transfuges nord-coréens en Corée du Sud et aux États-Unis. La démarche s’inscrit dans la tradition des livres de témoignages, à l’instar de Les Aquariums de Pyongyang (2000) de Kang Chol-Hwan et Pierre Rigoulot, ou de Nothing to Envy: Ordinary Lives in North Korea (2009) de la journaliste du Los Angeles Times Barbara Demick. Il offre une perspective unique sur l’intérieur du pays et souligne les évolutions sociales telles que vécues par les transfuges. Les portraits et scènes de vie touchent, notamment la ­mention des kotjebis, ces enfants des rues apparus lors de la famine du milieu des années 1990.

Comme dans tout ouvrage se basant sur des témoignages, plusieurs ques­tions se posent, d’autant que la méthodologie des entretiens n’est pas clairement présentée. La première est celle du potentiel biais de l’auteur qui réalise des entretiens très personnels, avec des transfuges pour la plupart présentés comme étant devenus des amis. La deuxième tient à l’intérêt scientifique du témoignage de transfuges ayant fait défection au début des années 1990 pour comprendre la situation actuelle. La troisième se pose quant à leur représentativité, malgré la diversité de leurs profils : ils viennent pour la plupart des provinces frontalières de la Chine.

L’ouvrage conserve un intérêt évident en ce qu’il documente avec précision les moyens d’accès à l’information des Nord-Coréens, ce que l’auteur appelle « la révolution de l’information », mais aussi le système de contrôle et de répression chargé de limiter cet accès. On découvre ainsi successivement les réseaux clandestins permettant aux transfuges d’aider leur famille restée en Corée du Nord, la forte exposition de la population aux séries et films sud-coréens, le rôle des ONG sud-coréennes, le rôle parfois plus ambigu des associations religieuses, etc.

Cependant, et allant partiellement à l’encontre de la thèse initiale, certains transfuges rappellent que le problème principal du pays n’est pas tant l’accès à l’information que la peur qui hante chaque Nord-Coréen, ainsi que l’attachement véritable à un pays, à un réseau social et à un ancrage local qui limitent de fait toute opposition au régime. On retiendra notamment le témoignage du jeune Jeong Gwang, qui explique de façon pragmatique pourquoi la grande majorité des Nord-Coréens ne considère même pas la défection comme une possibilité.

Une grande qualité de l’ouvrage est enfin d’aborder la question de l’économie souterraine dans le pays, traitée ici sous l’angle de la vie quotidienne, ce qui n’est pas sans rappeler les travaux du Peterson Institute for International Economics. Sont ainsi mentionnés, tour à tour, le rôle crucial des marchés informels, les jangmadang, leur dépendance très forte aux trafics avec la Chine, leur impact sur la jeune génération, etc.

Antoine Bondaz

Pour vous abonner à Politique étrangère, cliquez ici.