Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Corentin Sellin propose une analyse de l’ouvrage de Justin Gest, The New Minority: White Working Class Politics in an Age of Immigration and Inequality (Oxford University Press, 2016, 272 pages).

The New Minority

L’élection de Donald Trump s’est forgée dans trois États à majorité blanche de la Rust Belt industrielle (Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie) dont aucun n’avait voté pour un républicain après 1988. Ce basculement parmi les électeurs de la working class blanche a suffi. Dans ce contexte, et après le Brexit, le livre de Justin Gest sur l’identité politique de la working class blanche était attendu. Le jeune politiste fut d’ailleurs l’un des premiers à noter les affinités paradoxales entre Trump et l’électorat populaire blanc dès l’été 2015.

L’ouvrage présente une double ambition : établir théoriquement, à l’aide de sondages quantitatifs, comment le déclin social des individus de la working class blanche aux États-Unis et au Royaume-Uni détermine leur comportement politique ; mieux saisir la perception qu’ont les individus de ce déclin. Pour cela, l’auteur a mené un véritable travail ethnographique, au travers d’entretiens individuels dans les quartiers de Barking et Dagenham, sites historiques des usines Ford au Royaume-Uni, et à Youngstown, ancienne capitale de l’acier dans l’Ohio.

Justin Gest dégage une relation nette entre la perception qu’ont les Blancs de la working class de leur déclin social et un comportement politique anti-système. Plus le déclassement social est fort, plus les individus sont susce­ptibles d’adopter une position politique de rejet et de violence. Si la marginalité par rapport à la hiérarchie sociale est complète et admise, le Blanc de la working class sera plus enclin à se retirer totalement de l’action politique.

De plus, l’auteur dessine un tableau saisissant de groupes sociaux en déshérence et marginalisés. Dans l’est de Londres comme à Youngstown, il décrit des Blancs de la working class affaiblis dans leur identité collective par le chômage, la désyndicalisation et sans représentation politique car prisonniers d’un « monopartisme ». Il veille cependant à distinguer l’identité de la working class blanche britannique, construite sur le statut hérité des parents, et celle, américaine, méritocratique et fondée sur la hiérarchie des revenus.

Si l’auteur insiste sur la « racialisation » blanche de l’identité collective du fait de l’effacement des marqueurs sociaux de « classe », il différencie l’est de Londres et Youngstown quant au positionnement vis-à-vis des groupes perçus comme « ennemis ». À Barking et Dagenham, les Blancs de la ­working class ont reconstruit leur identité par opposition à des migrants venus du monde entier et qui semblent concurrencer leur position dans la hiérarchie sociale. Aux États-Unis, nation d’immigrants, les Afro-Américains, autrefois différenciés par la position subalterne dans l’appareil de production, sont associés à l’assistance (welfare) pour conserver la valeur identitaire du travail à la seule working class blanche.

Dans un dernier chapitre, Justin Gest pose la question de la représentation politique d’une working class blanche recluse dans des mobilisations anti-système ou hors du champ électoral. Il offre des pistes pour comprendre comment Trump a su capter dans les urnes la radicalité de la working class blanche en s’adressant à son sentiment de perte de statut social. Le livre est touffu, d’un anglais raffiné et complexe, mais il offre la première étude scientifique rigoureuse de l’expression politique de la working class blanche aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Corentin Sellin

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