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La révolution arabe en dix leçons

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2011). Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Pierre Filiu, La Révolution arabe : dix leçons sur le soulèvement démocratique (Fayard, 2011).

Parmi les nombreux livres parus à la suite du « printemps arabe », on retiendra celui de Jean-Pierre Filiu. Publié d’abord en anglais aux États-Unis et traduit par l’auteur lui-même, il est sans doute l’un des plus stimulants. J.-P. Filiu essaie de dégager « quelques leçons » d’un processus qui est loin d’être achevé, car il s’agit bien, selon lui, de « La Révolution » avec un L et un R majuscules.
Après avoir fait la chasse aux idées reçues, il tire quelques premières conclusions. On ne peut que partager son analyse lorsqu’il écrit que les Arabes ne sauraient constituer une exception face à la démocratie et que les musulmans peuvent vivre dans des pays démocratiques. Il souligne à juste titre le rôle joué par la jeunesse, tout à la fois frustrée, mondialisée, numérisée, qui ne se reconnaît pas dans ces régimes oppressifs d’un autre âge. Il note le rôle d’accompagnement de la révolution des armées, décisif dans plusieurs pays. Il analyse l’embarras des mouvements islamistes, dont les Frères musulmans : ceux-ci n’ont joué aucun rôle dans le déclenchement de la révolution mais ont pris le train en marche avec un certain succès. Tout en évoquant le rôle des réseaux sociaux, il n’en surévalue pas l’importance. Il a raison de souligner que la question palestinienne non seulement n’a pas été évacuée, mais qu’elle demeure « au cœur » des opinions arabes. L’assaut donné à l’ambassade d’Israël au Caire le 9 septembre 2011 montre bien que le problème demeure entier.
« Vague historique » qui n’en est qu’à ses débuts, le « printemps arabe » a enclenché une dynamique qui n’est pas près de cesser de produire des effets. Certes, ce processus ne sera pas linéaire : il y aura des tensions, des crises, voire des retours en arrière. En effet, les révolutions arabes ont devant elles des défis de toutes sortes : sociaux, politiques, économiques. Comme le reconnaît l’auteur, « il faudra des décennies pour les surmonter ». Si le « mur de la peur » est tombé et si rien ne sera désormais comme avant, le calendrier et le point d’aboutissement du processus n’apparaissent pas encore clairement tandis que la contre-révolution s’organise autour de l’Arabie Saoudite.
Il est clair – et l’auteur en convient – que des risques existent pour ces révolutions : risques de récupération mais aussi de confiscation ou de restauration. À cet égard, le rôle que vont jouer les deux forces organisées existant dans le monde arabe – d’une part l’armée, d’autre part les mouvements islamistes, notamment les Frères musulmans – sera décisif dans le succès ou l’échec des révolutions.
Dans un article récent de la New York Review of Books, Hussein Agha et Robert Malley montrent que cette contre-révolution est en marche et qu’elle dispose d’atouts importants. Pour sa part, J.-P. Filiu est résolument optimiste. Souhaitons qu’il ait raison.

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Afrique du Nord – Moyen-Orient

Article issu de Politique étrangère (4/2011), paru le 21 décembre 2011, portant sur l’ouvrage Afrique du Nord – Moyen-Orient : révolutions civiques, bouleversements politiques, ruptures stratégiques (éd. 2011-2012) dirigé par Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff (La Documentation française, 2011, 146 pages). L’article qui suit a été rédigé par Denis Bauchard.
Retrouvez Denis Bauchard et Frédéric Charillon dans le prochain numéro de PE (1/2012), dans un dossier sur les soulèvements arabes.

Depuis la disparition du regretté Rémy Leveau, la direction de l’ouvrage collectif publié annuellement par La Documentation française sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient a été reprise conjointement par Frédéric Charillon et Alain Dieckhoff. Il apporte chaque année une analyse des événements les plus marquants qui secouent ces régions pleines de turbulences. La livraison de cette année fait une large place au « printemps arabe » et à ses conséquences géopolitiques.

F. Charillon, qui l’introduit sur le thème des « révolutions civiques, bouleversements politiques, ruptures stratégiques », essaie de dégager quelques conclusions provisoires à partir de plusieurs constats. Il souligne en particulier la « nature à la fois populaire, consensuelle et spontanée » des mouvements observés. Il remarque que les doctrines d’ensemble face à cette situation sont trop larges. Une « doctrine Powell », comme une « politique arabe » trop globalisante, ne sont plus utilisables. Une approche plus pragmatique, plus au coup par coup, lui paraît à juste titre indispensable. La principale leçon est sans doute celle de la nécessité de la « révision totale d’un certain nombre de concepts ou de référents qui avaient marqué par le passé la relation de l’Europe avec les États arabes ». Ainsi recommande-t-il des « recompositions diplomatiques ». L’Union pour la Méditerranée (UPM) avait fait du président Hosni Moubarak un partenaire majeur pour mettre sur les rails ce projet ambitieux. À l’évidence, la situation actuelle définit une nouvelle donne, qui oblige l’Europe, et plus précisément la France, à adapter ses outils de coopération avec les pays méditerranéens du Sud. Pour les États-Unis, qui ont choisi de soutenir les révolutions arabes, la situation n’est pas sans risques. L’Arabie Saoudite n’a pas caché sa désapprobation sur la façon dont le président Barack Obama a « lâché » le président Moubarak, comme par le passé le président Jimmy Carter avait abandonné le Shah. Pour les acteurs régionaux eux-mêmes, arabes ou non arabes, comme Israël, la Turquie et l’Iran, l’évolution des événements devrait conduire à une adaptation, voire à une redéfinition, de leur politique étrangère.

L’ouvrage aborde successivement les situations de l’Égypte, de la Tunisie et des Territoires palestiniens avant d’analyser le développement préoccupant des activités d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’évoquer, plus largement, la place et le rôle de l’islam dans les sociétés arabes.

S’agissant de l’Égypte, Vincent Romani, professeur à l’université du Québec à Montréal, rappelle que la révolution a été précédée dès 2004 de multiples signes annonciateurs, de mouvements sociaux mais aussi d’une contestation politique de plus en plus forte. Il souligne le caractère essentiel des enjeux pour l’armée, qui entend tout à la fois « organiser à son avantage et au plus vite son retrait de la scène politique tout en maintenant son pouvoir économique et politique ». L’évolution récente montre la difficulté pour l’armée de poursuivre ces objectifs largement contradictoires et de gérer la situation en alternant répression et conciliation, tout en s’efforçant de contrôler une épuration qu’elle entend réduire au strict minimum. Elle y réussit pour l’instant au prix d’une dégradation de son image. Quant aux Frères musulmans, qui ont su récupérer la révolution, ils restent à l’évidence un acteur incontournable dans le processus politique qui se précise.

L’évolution de la situation tunisienne, évoquée par Flavien Bourrat, montre à quel point le passage d’un État policier à un État de droit est délicat ; si l’armée se veut gardienne des institutions, son jeu est ici plus clair que celui du Conseil supérieur des forces armées (CSFA) égyptien. Mais en Tunisie aussi, les islamistes entendent récupérer la révolution : s’ils « peinent à définir un projet politique lisible et cohérent », ils demeurent des acteurs inévitables, avec lesquels les révolutionnaires devront compter. Un consensus semble se dégager pour mettre en place des garanties afin d’éviter le retour d’un pouvoir despotique. À cet égard, l’évolution de la Tunisie mérite d’être particulièrement suivie. Plus que tout autre pays arabe, elle détient les atouts pour bâtir une véritable démocratie.

Cet ensemble de contributions reste pertinent à la lumière des évolutions récentes : il donne des clés intéressantes pour la compréhension d’événements parfois déroutants. Si certains traits sont communs à l’ensemble du monde arabe, chaque pays témoigne d’une spécificité qui laisse penser que les révolutions arabes connaîtront sans doute des évolutions et des destins fort différents.

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