Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Conesa, Dr. Saoud et Mr. Djihad. La diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite (Robert Laffont, 2016, 304 pages).

Dr. Saoud et Mr. Djihad

Le livre de Pierre Conesa aborde le sujet, peu traité en France, de la diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite. Sa thèse s’affiche sur la couverture, où derrière le drapeau saoudien apparaît en ombre portée celui de l’État islamique (EI) : l’Arabie Saoudite, « régime théocratico-tribal » est responsable du développement des groupes djihadistes dont elle promeut l’idéologie. Elle contribue à la « salafisation du monde » à travers une diplomatie religieuse très active et bénéficiant d’une « manne illimitée ». Cette politique résulte du « pacte du Nedj » conclu en 1744 entre la famille des Saoud et celle d’Abd Al-Wahhab, imam prônant un « islam vrai », prêché par les salafs, les compagnons du prophète. Ce pacte reste valide, la famille Al-Shaikh, qui descend d’Abd Al-Wahhab, occupant une place éminente dans l’Arabie Saoudite contemporaine.

Pour l’auteur, la diplomatie saoudienne appuie et finance généreusement la propagation du salafisme sous sa forme la plus rigoureuse et intolérante, à travers diverses institutions. La Ligue islamique mondiale est un de ces instruments, basée à La Mecque et présente dans de nombreux pays. Son action est multiforme : mise en place de tribunaux islamiques jugeant sur la base de la charia, création d’écoles coraniques, formation des imams. Un autre vecteur d’influence est l’université de Médine qui a formé depuis son origine près de 45 000 imams étrangers. L’Arabie Saoudite est ainsi le moteur de l’expansion du salafisme à travers le monde.

Outre les parentés idéologiques avec les groupes djihadistes, l’auteur souligne la part qu’a prise l’Arabie Saoudite à leur expansion en Afghanistan, en accord avec les États-Unis. Le fait que 15 des 19 djihadistes impliqués dans l’attaque du 11 Septembre aient été saoudiens a conduit le Congrès à s’interroger sur les liens entre ces terroristes et Riyad. Des documents internes du Département d’État ou du Trésor incrimineraient des filières de financement venant des pays du Golfe, et particulièrement d’Arabie Saoudite.

Ce livre est clairement une mise en cause, souvent polémique, d’une Arabie Saoudite qui aurait contribué au développement du terrorisme djihadiste. Mais en Orient rien n’est simple. Si l’Arabie Saoudite joue un rôle incontestable dans l’expansion du fondamentalisme islamique, il serait pourtant hasardeux d’amalgamer salafisme et terrorisme. De fait, les djihadistes ont des parcours très différenciés. Certains ont une idéologie salafiste, d’autres ont été Frères musulmans, mais la plupart n’ont qu’une connaissance sommaire de l’islam. Au sein de l’EI, les anciens cadres du Baas irakien laïque jouent un rôle important. Par ailleurs, des circuits de financements « privés » existent à partir des pays du Golfe ou d’ailleurs, notamment de la part de riches mécènes qui considèrent que l’EI défend efficacement les sunnites contre les persécutions dont ils sont l’objet. Enfin, comme le note l’auteur, la politique saoudienne a évolué : menacé par l’EI, verbalement mais également à travers de nombreux attentats, le gouvernement saoudien s’est engagé dans la lutte contre le terrorisme, même si sa priorité reste la lutte par procuration contre l’Iran plutôt que contre l’État islamique ou Al-Qaïda.

Ce livre suscitera la controverse. Il peut contribuer à alimenter un débat qui est loin d’être clos sur les causes de l’expansion du terrorisme se réclamant de l’islam.

Denis Bauchard

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