Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Corentin Brustlein, responsable du Centre des études de sécurité et du programme Dissuasion et prolifération de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Nicolas Roche, Pourquoi la dissuasion (PUF, 2017, 568 pages).

Au cours des dernières années, l’arme nucléaire est redevenue un enjeu saillant des relations internationales. Depuis la chute du mur de Berlin, sa visibilité comme enjeu structurant s’était réduite, de manière disproportionnée à son poids réel dans la structuration des rapports de force. Sous la pression de l’actualité, cette tendance semble avoir touché à sa fin. L’intimidation nucléaire russe dans les suites de l’annexion de la Crimée, l’accord du 14 juillet 2015 avec l’Iran destiné à contraindre durablement la capacité de ce dernier à se doter de l’arme nucléaire, ou l’escalade des démonstrations de force autour de la péninsule coréenne, reflètent une mutation assez profonde de l’environnement stratégique, et du paysage nucléaire mondial. Parallèlement à cette distanciation vis-à-vis de l’arme nucléaire comme enjeu structurant, la compréhension de celle-ci avait subi un processus d’érosion, notamment en France, à mesure que les cours lui étant consacrés dans l’enseignement supérieur se faisaient de plus en plus rares, et que les priorités stratégiques nationales se réorientaient vers les interventions extérieures.

Cet ouvrage constitue un jalon important en vue de redresser la barre. Inspiré d’un cours dispensé par l’auteur à l’École normale supérieure, il concrétise l’un des efforts qui visent à réintroduire les questions nucléaires dans les débats académiques. Diplomate et historien, Nicolas Roche y réalise un tour d’horizon des enjeux liés à l’arme nucléaire dans le monde, en approchant son objet tour à tour sous des angles historiques, stratégiques, juridiques, diplomatiques ou philosophiques.

Contrairement à ce qu’une lecture rapide du titre pourrait laisser penser, l’ouvrage n’aborde pas la seule stratégie de dissuasion nucléaire, mais décrit la place de l’arme nucléaire hier et aujourd’hui dans les postures stratégiques, et plus généralement l’ordre nucléaire international – le régime de non-prolifération, les accords de maîtrise des armements et de désarmement, etc.

L’auteur porte son regard au-delà du seul domaine nucléaire et s’interroge sur le retour des rapports de forces dans un monde que l’on a voulu normer, et sur ce que cette tendance implique pour la France. Nicolas Roche rappelle opportunément que la dissuasion ne s’est jamais bornée au nucléaire, et que l’arme nucléaire n’a pas toujours été appréhendée comme une arme de dissuasion – comme semblent aujourd’hui le rappeler Moscou et Pyongyang. Partant du constat selon lequel il est plus que jamais nécessaire de réapprendre la « grammaire » de la dissuasion, Roche combine ainsi retours aux fondamentaux techniques et conceptuels, coups de projecteurs sur des dynamiques de compétition régionale (Asie du Sud) ou des crises de prolifération (Iran, Corée du Nord) et, de manière originale, illustrations de cette grammaire de la dissuasion dans les crises récentes, en Syrie en 2013 ou en Ukraine en 2014.

Bien que certaines controverses académiques y soient exposées, Pourquoi la dissuasion n’est pas un manuel au sens universitaire du terme. Il en garde toutefois le caractère pédagogique et s’avère en réalité plus concret et actuel qu’un manuel, constituant ainsi une somme de grande valeur, tant pour les étudiants en relations internationales que pour les journalistes ou praticiens désireux de disposer d’une vision d’ensemble sur un enjeu appelé à demeurer central.

Corentin Brustlein

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