Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. François Frison-Roche propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Franck Mermier, Yémen : écrire la guerre (Classiques Garnier, 2018, 192 pages).

Ce livre arrive au bon moment et n’a pas d’équivalent. La guerre fait rage au Yémen depuis presque quatre ans maintenant, et il était temps de donner la parole à des Yéménites pour qu’ils nous expriment leur façon de voir, leur vue « de l’intérieur » en quelque sorte, le conflit étant complexe. Rien ne saurait valoir l’avis des premiers concernés. Tels ont été le choix et l’objectif de Franck Mermier, anthropologue au Centre national de la recherche scientifique, dans cet ouvrage qui paraît sous sa direction. Les huit auteurs, quatre hommes et quatre femmes, écrivains, enseignants, journalistes, chercheurs, ont en commun une connaissance précieuse des ressorts qui animent ce pays largement méconnu, riche de sa culture mais pauvre en hydrocarbures ; ceci expliquant peut-être cela.

En raison des enjeux et de la multiplicité des parties au conflit, à la fois à l’intérieur du Yémen et intervenants extérieurs, on ne sait plus à quelle guerre se vouer pour comprendre une situation rendue inextricable. Pour cette raison, il est d’autant plus difficile pour les médias occidentaux d’en rendre compte à leurs opinions publiques. Il est vrai que se sont rapidement greffées sur les conflits intérieurs yéménites les réactions des voisins, et des intérêts internationaux qui peinent à dire leur nom quand ils n’imposent pas le silence sur la réalité de la guerre. La catastrophe humanitaire annoncée par les plus grandes organisations internationales spécialisées – 18 millions de personnes sont concernées – oblige néanmoins la communauté internationale à se pencher régulièrement au chevet du Yémen.

Parfois, les récits de certains auteurs devront être décryptés pour intéresser le non-spécialiste et lui permettre de comprendre la situation et la portée de tel ou tel propos ; mais l’essentiel est là quand référence est faite à des événements vécus, et quand on nous fait prendre conscience de la réalité de situations dramatiques, cruelles. Le « journal » de Jamal Jubran, ou « les nuits de Sanaa » de Sara Jamal, par exemple, avec leur part d’humour décalé sur la prise de Sanaa par les Houthis ou les bombardements de la capitale par l’aviation de « la coalition » dirigée par l’Arabie Saoudite, sont poignants de vérité.

De ce livre on retiendra particulièrement l’étude d’Ali Al-Muqri, qui revient sur les 33 années de pouvoir de l’autocrate Ali Abdallah Saleh (1978-2011), mais aussi les analyses de Maysaa Shuja Al-Deen consacrées, pour la première à l’alliance surprenante entre forces Houthis et forces militaires fidèles à l’ancien dictateur et, pour la seconde, à la
« nouvelle donne politique » créée par le « Conseil de transition sudiste » appuyé par l’autre membre important de la « coalition », les Émirats arabes unis. À les lire, on comprend que l’unité du Yémen est sérieusement mise en cause.

On retiendra également le témoignage d’Arwa Abduh Othman, une des figures féminines du soulèvement de 2011. Elle nous dit que les femmes yéménites ont entamé une lutte contre les archaïsmes de la société yéménite et son machisme, sans vouloir départager les hommes de l’ancien régime des « forces d’opposition » (qui ont tout fait pour discréditer le mouvement en défendant le statut traditionnel de la femme), sur sa place dans une société où la religion semble définitivement tracer les contours et définir les usages et les règles.

François Frison-Roche

> > S’abonner à Politique étrangère < <