Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Denis Bauchard, conseiller au Moyen-Orient pour l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Michel Duclos, La longue nuit syrienne. Dix années de diplomatie impuissante (Éditions de l’Observatoire, 2019, 344 pages).

Cette analyse de la politique menée par Jacques Chirac et ses successeurs par un auteur qui fut ambassadeur en Syrie de 2006 à 2009, montre les revirements voire les incohérences des relations entretenues avec un régime syrien connu de longue date pour sa brutalité. En décembre 2010, à la veille des printemps arabes, le président Sarkozy accueillait chaleureusement à l’Élysée Bachar Al-Assad, et déclarait quelques semaines plus tard qu’il devait partir et être jugé comme criminel de guerre.

Les printemps arabes prennent dès le départ une ampleur qui conduit le pouvoir à exercer une répression sans pitié : en Syrie près de 500 000 morts dont une majorité de civils, près de six millions de réfugiés à l’étranger et autant de déplacés en Syrie même, des villes importantes en grande partie détruites… Pourtant, après huit ans de guerre le régime a tenu, même s’il est exsangue. Comment expliquer un tel paradoxe ?

L’auteur s’interroge sur la personnalité de Bachar Al-Assad. N’a-t-on pas fait une erreur de jugement sur un personnage devenu président sans l’avoir voulu, à la place de son frère héritier, Bassel, mort accidentellement en 1994 ? Des malentendus sont vite apparus, notamment sur sa volonté de réformer un régime sans doute irréformable. Il apparaissait comme « un homme sans grande étoffe », mais il a montré des capacités d’obstination et de résilience – sans doute sous-estimées – et bénéficié du soutien non seulement des minorités mais encore d’une partie de la population sunnite. Michel Duclos le reconnaît : à l’époque où il était en poste, il avait constaté que « Bachar Al-Assad n’était pas impopulaire ». Il remarque qu’il n’y a pas eu non plus de vision stratégique dans la politique menée tant du côté français qu’américain, mais un décalage grandissant entre une rhétorique très combative et des soutiens parcimonieux et inefficaces.

Des erreurs d’appréciation ont été commises. On a surestimé la volonté américaine de s’engager dans le conflit, l’accent étant mis du côté de Washington sur la lutte contre Daech : les réticences de l’administration Obama à s’impliquer dans une guerre au Moyen-Orient étaient évidentes, alors que le « pivot » du Pacifique était devenu prioritaire. On a également oublié que la Russie n’accepterait pas de voir disparaître un régime avec lequel elle avait des liens anciens et étroits de coopération datant de l’URSS. De même, l’Iran était décidé à maintenir un régime sur lequel reposait une alliance stratégique depuis 1980. Enfin, le développement des forces djihadistes a contribué à plonger la Syrie dans un engrenage infernal.

L’auteur élargit le débat, replaçant la Syrie dans le contexte plus général de la montée des « nouveaux autoritaires ». La Syrie n’a-t-elle pas été « le catalyseur du retour de la Russie et de la montée du populisme » ? Pour lui, « le conflit syrien a déclenché une sorte de cercle vicieux dont pour l’instant les nouveaux autoritaires sortent renforcés ». L’idée mériterait débat. On ne suivra pas Michel Duclos dans cette voie. La Russie est de retour, notamment au Moyen-Orient, depuis le début des années 2000 ; le populisme a des racines qui remontent également au début du siècle ; quant à la montée en puissance de la Chine, elle n’a pas de rapport avec la tragédie syrienne.

La contribution de cet ouvrage à la connaissance et à l’explication de la tragédie syrienne mérite une lecture attentive, même si l’on ne partage pas toutes ses analyses.

Denis Bauchard

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