Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Jean-Christophe Noël, chercheur associé au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de M. Taylor Fravel, Active Defense: China’s Military Strategy since 1949 (Princeton University Press, 2019, 400 pages).

Taylor Fravel, professeur de sciences politiques au Massachusetts Institute of Technology, publie un ouvrage qui poursuit deux objectifs. Le premier est d’offrir une présentation complète des stratégies militaires de la Chine depuis 1949. L’auteur en recense neuf différentes, pour lesquelles il s’emploie à dégager à chaque fois les strategic guidelines (zhanlue fangzhen), c’est-à-dire les principes qui influencent les doctrines opérationnelles, les structures des forces et l’entraînement. Il s’agit bien de définir la manière de combattre et de se préparer à la prochaine guerre au niveau stratégique.

Le second objectif de l’auteur est d’identifier les facteurs provoquant un changement radical de stratégie. Taylor Fravel relève qu’un tel bouleversement ne s’est produit qu’à trois reprises. En 1956, l’Armée populaire de libération (APL) investit dans la défense des zones côtières contre une possible invasion américaine. Elle choisit en 1980 la défense active pour contrer une éventuelle invasion des troupes soviétiques. Enfin, elle se prépare depuis 1993 à mener des guerres locales dans un environnement de haute technologie.

Deux facteurs essentiels expliquent ces choix, selon l’auteur. Le premier est externe. Il s’agit d’intégrer les transformations dans l’art de la guerre. En 1956, les leçons de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée sont prises en compte. En 1980, les enseignements du conflit israélo-arabe de 1973 sont assimilés. Enfin, en 1993, c’est l’étude de la guerre du Golfe et les premiers développements de la Révolution dans les affaires militaires qui poussent à faire évoluer les doctrines et les structures.

Le second facteur est interne et politique. L’APL est l’armée du Parti. Elle ne peut se transformer que si l’unité du Parti communiste chinois (PCC) est acquise. Un consensus doit émerger entre les cadres les plus importants du Parti. C’est le cas en 1956, avec la domination de Mao Zedong sur le PCC, ou en 1980 et 1993, quand les dirigeants choisissent de s’unir après avoir réduit les fractures profondes suscitées par la Révolution culturelle ou les manifestations sur la place Tiananmen.

La doctrine nucléaire est l’exception qui confirme la règle. Elle n’a pas évolué depuis 1964, et reste fidèle aux deux principes de non-emploi en premier et de capacité de riposte en cas d’attaque. Les dirigeants chinois persistent à considérer l’arme nucléaire comme une arme de nature politique, dont l’utilisation potentielle n’est pas liée à l’évolution des formes de la guerre.

La réduction de l’élaboration de la stratégie militaire chinoise à deux facteurs principaux peut certes soulever bien des questions. Le caractère opératoire d’un tel constat pourrait gommer la complexité de nombreux processus. On pourra, par exemple, regretter que l’impact de la conduite désastreuse de la guerre contre le Vietnam en 1979 soit négligé, ou que les considérations menant au perfectionnement des branches navale ou aérienne de l’APL soient peu développées. Reste que ce livre de science politique est désormais incontournable sur le sujet. Il sera extrêmement précieux pour le lecteur désirant approcher l’évolution de la pensée militaire chinoise récente, que ce soit dans son élaboration ou dans son discours.

Jean-Christophe Noël

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