Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019). Pierre Grosser propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Jo Inge Bekkevold et Bobo Lo, Sino-Russian Relations in the 21st Century (Palgrave Macmillan, 2019, 336 pages).
Cet ouvrage s’ouvre sur une réflexion qui met face à face les arguments des « croyants » en un axe solide et des « sceptiques ». La plupart des contributions se situent dans l’entre-deux, pointant à la fois l’approfondissement des relations et les difficultés, liées souvent à des priorités et des intérêts divergents. Notons d’emblée qu’il est dommage que l’histoire ait été peu invoquée, que ce soit pour rappeler la profondeur historique des attitudes et des politiques russes à l’égard de l’Asie, l’intérêt stratégique ancien de la Russie pour l’Asie, ou le jeu de balancier traditionnel entre l’Ouest et l’Extrême-Orient.
Un intérêt majeur de l’ouvrage est de permettre de reconstituer la chronologie du rapprochement, pour pouvoir ainsi espérer en comprendre les causes : à savoir les facteurs push (la faute de l’Ouest) et pull (l’attrait de l’Asie). Selon Alexander Gabuev, la Russie post-soviétique est d’abord focalisée sur l’Ouest, dans le sillage du discours gorbatchévien : « rejoindre l’Occident » ou la « famille euro-atlantique ». La Chine était considérée avec « un mix d’arrogance, de crainte, et de négligence ». Un premier tournant advient en 2004 : les questions territoriales sont enfin réglées, le prix du pétrole augmente alors même que la consommation chinoise de pétrole s’accroît, tandis que les révolutions de couleur et l’invasion de l’Irak inquiètent Pékin et Moscou. Toutefois, la Chine n’est encore qu’un levier pour Poutine lorsqu’il négocie avec les États-Unis, tandis que Moscou commence à se méfier dans ses ventes d’armes à la Chine.
Le premier changement intervient en 2009. La Russie connaît de fortes difficultés économiques du fait de la crise de 2008 aux États-Unis et en Europe. La Russie se tourne alors vers la Chine pour exporter son pétrole. Les BRICS s’affirment, sous impulsion russe, tandis que le discours eurasiatique monte en puissance. Mais les relations avec la Chine ne sont pas encore pensées stratégiquement. L’arrivée de Xi Jinping au sommet en 2012 ouvre une porte politique et le « pivot » vers la Chine devient réel à partir de 2014. Jouent bien sûr les opportunités économiques en Chine, mais aussi les conséquences de la crise ukrainienne et de l’annexion de la Crimée. Les ventes d’armes russes reprennent vraiment à partir de 2015, avec du matériel de plus en plus sophistiqué, tandis que les exercices militaires communs se multiplient. Parler de lune de miel sino-russe serait toutefois exagéré, Pékin restant moins enthousiaste et calibrant les investissements chinois en fonction de la proximité des demandeurs avec le Kremlin.
Désormais, la Chine semble « la pièce maîtresse de la politique de Poutine – la clé d’un ordre mondial en train d’émerger, l’instrument majeur pour contrebalancer l’influence géopolitique et normative des États-Unis, la pièce centrale du ‘‘tournant vers l’Est’’ et le moyen de renforcer la légitimité du régime de Poutine sur la base de la solidarité autoritaire ».
À cause des délais de publication, l’ouvrage n’aborde pas la période Trump ; celui-ci, durant sa campagne en 2016, a fait entrevoir une stratégie de rapprochement avec la Russie pour faire face au défi chinois. Mais on ne voit pas de 1972 à l’envers pour ce triangle stratégique, et les liens sino-russes semblent toujours plus forts à mesure que se délitent les relations transatlantiques.
Pierre Grosser
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