Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Pierre Grosser propose une analyse de l’ouvrage de Jacques Huntzinger, Le Globe et la Loi. 5 000 ans de relations internationales. Une histoire de la mondialisation (Éditions du Cerf, 2019, 408 pages).

Voilà un livre ambitieux, écrit par un professeur de droit, qui s’impliqua dans la réflexion internationale du Parti socialiste (PS) et publia un manuel sur les relations internationales en 1989, puis devint diplomate ; il fut notamment ambassadeur en Israël. Il raconte toute l’histoire des relations internationales depuis les empires d’Orient et l’espace chinois, décrit les mondialisations politique (la généralisation de la grammaire étatique), économique, sociale, culturelle et juridique, et analyse enfin les systèmes régionaux.

S’il n’affiche pas d’appareil critique, l’auteur cite souvent Kissinger, Brzeziński et Régis Debray, voire Thérèse Delpech en reprenant l’expression d’« ensauvagement » pour l’après-1905, ou Samuel Huntington pour le « choc des civilisations », les « conflits civilisationnels » n’empêchant pas selon l’auteur « l’occidentalisation du monde ». Sa définition de la puissance (force x volonté) est très aronienne. Il conteste l’expression de « monde liquide » et voit plutôt le monde comme un « sac de billes », parce que les États sont toujours au centre du jeu, même s’ils ont toujours été faibles dans certaines parties du monde (30 « vrais États », 150 « demi-États »). Le monde serait resté « profondément interétatique », avec toutefois un jeu important des entreprises, des organisations non gouvernementales (ONG), voire de certains individus : « L’État impotent, l’État impuissant, l’État faible, mais l’État depuis toujours et aujourd’hui partout. » Si la guerre classique entre les États aurait pratiquement disparu (l’auteur estime toutefois qu’il existe « une guerre économique totale des États-Unis contre la Chine »), un concert serait impossible entre « l’Amérique en crise d’autorité, la Russie en crise d’identité et la Chine en crise de croissance ».

Une telle ambition en 400 pages amène forcément des raccourcis (le xxe siècle est en définitive peu traité), des formules lapidaires qui broient la complexité, des sujets moins maîtrisés, et des erreurs (les Soviétiques présents à la conférence de Casablanca en janvier 1943, l’Inde devenue nucléaire pour contrer un Pakistan nucléaire…). L’approche historique utilise un vocabulaire assez périmé, puisqu’il est beaucoup question d’une Europe qui « féconde » les autres continents. Le culturalisme est à l’honneur, avec les « vraies nations » du Moyen-Orient (Égyptiens, Persans et Juifs), une nation étant « un peuple éveillé qui s’approprie un État », la Chine « trop chinoise pour être mondiale », la « Russie hybride, donc schizophrène », et surtout une Afrique « toute neuve », « sans nations ni princes régaliens », secouée par une crise « profondément culturelle », les crises et guerres étant « presque toujours au départ des conflits ethniques ou claniques ». L’Iran, forte « de son âge et de son peuple », est comparée à l’Union soviétique, et pourrait être victime de sa surexpansion impériale.

Au total, le lecteur pourra ici trouver certaines synthèses et formulations intéressantes, et admirer l’ambition du projet, appuyé sur une longue carrière. La lecture ligne à ligne risque cependant d’être un peu difficile pour celui qui connaît peu, et quelque peu frustrante pour qui connaît mieux.

Pierre Grosser

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