En cette période de confinement liée à l’épidémie de coronavirus, la rédaction de Politique étrangère vous offre de (re)lire des textes qui ont marqué l’histoire de la revue. Nous vous proposons aujourd’hui un article de Jacques de Larosière, intitulé « L’énergie et l’économie mondiale », et publié dans le numéro d’automne 1980.

Après le quadruplement des prix du pétrole en 1973, les pays industrialisés avaient réussi à rééquilibrer leur balance des paiements courants grâce notamment à une baisse des prix réels du pétrole. Mais les déficits massifs de la balance des paiements courants que connaissent aujourd’hui, à la suite des nouvelles hausses décidées par l’OPEP, les pays importateurs de pétrole, risquent de se révéler plus persistants. Nous pouvons en effet nous attendre à ce que les tensions sur les prix persistent plus longtemps et à ce que les excédents pétroliers soient plus durables qu’après 1974.

Si le renchérissement du pétrole depuis la fin de 1978 est la cause immédiate des nouvelles difficultés que traverse l’économie mondiale, la cause fondamentale en est le niveau élevé de la consommation d’énergie. Or la structuration actuelle de la consommation énergétique mondiale, axée à 51 % sur le pétrole, reflète en grande partie les faibles prix réels du pétrole pratiqués au cours des années 1960. Les niveaux actuels de la consommation pétrolière dépassent de beaucoup les taux de production qui semblent pouvoir être maintenus à long terme. Tout le monde a certes à l’esprit les nouvelles réserves économiquement exploitables qui ont été découvertes au cours des dernières années (Mexique, mer du Nord, etc.). Mais à la longue, les possibilités de découvertes importantes ont inévitablement une probabilité de moins en moins grande. La réduction de la consommation de pétrole est donc un impératif à long terme. Elle est aussi un impératif à moyen terme, dans la mesure où un grand nombre de pays ne pourront plus longtemps financer des déficits des paiements aussi considérables.

Face à cette nouvelle situation, le Fonds monétaire international est appelé à relever trois défis :
– celui de contribuer à fournir les volumes et les types de ressources dont les pays membres pourront avoir besoin dans les années à venir ;
– celui d’aider ces pays à exécuter les programmes d’ajustement nécessaires ;
– enfin celui de faciliter pour les pays à excédents de capitaux la solution des problèmes que leur pose la gestion de leurs réserves dans un système de taux flottants.

L’évolution de l’offre et de la demande d’énergie

On pourrait réduire la consommation de pétrole en comprimant la consommation globale d’énergie, mais cette méthode ne saurait être appliquée uniformément. Jusqu’à présent, en effet, la croissance économique a toujours été liée à la croissance de l’offre d’énergie. D’une manière générale, on peut rappeler que la consommation d’énergie correspond, en moyenne, à un kilogramme d’équivalent charbon par dollar de PIB. Ainsi, un pays dont le revenu national atteint 250 dollars par habitant consomme environ 250 kilogrammes, soit le quart d’une tonne, d’équivalent charbon par personne ; en revanche, la consommation d’un pays industrialisé-type, où le revenu par habitant est de 10 000 dollars, varie entre 5 et 12 tonnes par personne. Il est clair que les économies d’énergie devraient tenir compte du niveau actuel de consommation individuelle dans chaque pays et des exigences de sa croissance future. Ainsi, dans les pays à revenu moyen qui s’industrialisent, la consommation d’énergie tend à augmenter plus vite que le taux de croissance du PIB ; la Banque mondiale prévoit, à cet égard, que le taux de croissance de la consommation d’énergie de l’ensemble des pays en développement devra atteindre 6 % par an au cours des dix prochaines années et sera légèrement supérieur au taux de croissance de leur PIB. Dans l’hypothèse d’un ralentissement persistant de la croissance de la production mondiale d’énergie, le développement de l’économie des pays à revenu faible et moyen – et particulièrement de ceux qui s’industrialisent – dépendra d’une décélération de la consommation d’énergie dans les pays développés.

Si, de façon très générale, il existe un rapport entre croissance économique et consommation d’énergie, ce rapport est assez variable, en particulier dans les pays où le revenu par habitant est le plus élevé. L’amplitude des différences de consommation d’énergie entre tel ou tel pays à structure industrielle et à niveau de développement comparables prouve qu’il est encore possible d’améliorer considérablement le rendement des utilisations d’énergie : c’est ainsi que la consommation d’énergie par unité de PIB de la France, de l’Allemagne et du Japon est à peu près égale à la moitié de celle des États-Unis. Ces chiffres suggèrent que nombre de pays, et plus spécialement ceux dont la consommation d’énergie est relativement importante, pourraient la réduire dans des proportions substantielles. La planification et les orientations gouvernementales peuvent beaucoup contribuer à encourager les économies d’énergie dans le secteur public comme dans le secteur privé. Certes, cette possibilité a des limites qu’imposent, par exemple, la nature des biens d’équipement et des technologies actuellement utilisés, le stock de véhicules et autres appareils consommateurs d’énergie dont un pays dispose, ainsi que les habitudes de consommation difficiles à extirper. D’autres obstacles résultent de facteurs immuables, par exemple, le climat. Il n’en reste pas moins qu’il y a place pour des transformations considérables. Cela est d’autant plus important que le pays dont la consommation d’énergie par habitant est la plus élevée du monde – les États-Unis – se trouve aussi être le premier par le volume global de sa consommation. Ainsi, avec 31 % de la population des pays industrialisés, les États-Unis consomment 45 % du volume total de pétrole utilisé par ces pays.

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