Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020). Carlos Santiso propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Melchior Powell, Dina Wafa et Tim A. Mau, Corruption in a Global Context: Restoring Public Trust, Integrity, and Accountability (Routledge, 2019, 336 pages).

La corruption est un fléau aussi persistant qu’impénétrable, qui balafre aussi bien les économies émergentes que les pays plus développés. Le défi est ici conceptuel et politique, dans la mesure où une meilleure compréhension du phénomène doit aider à discerner les causes et les remèdes, au-delà des symptômes et des conséquences. Cet ouvrage relève ce défi, mais manque de boussole conceptuelle pour encadrer les dix cas d’études et en extraire des conclusions sur les stratégies déployées pour y faire face.

Une typologie distingue entre la capture de l’autorité publique, la « grande corruption » et la « petite corruption ». Ces trois sortes de corruption ont différentes caractéristiques, et relèvent de solutions différentes. Concernant le Nigeria, David Enweremadu montre l’étendue de la capture de l’État et du pillage des ressources pétrolières par les élites, notamment locales. Le cas de la Tunisie sous Ben Ali révèle la façon dont un cartel familial s’approprie des leviers publics pour systématiser la corruption en détournant les règles. Trancher ces nœuds gordiens suppose de réformer le financement politique, et de mieux réguler les conflits d’intérêts.

La « grande corruption », quant à elle, est plus transactionnelle et affecte notamment les grands marchés publics, comme dans le cas du scandale d’Odebrecht en Amérique latine. Dans ce cas, des réformes institutionnelles telles que la création de commissions anticorruption suivant les modèles prometteurs de Hong Kong et Singapour, le renforcement de la transparence budgétaire et de l’open data, ou encore l’ouverture des marchés publics, sont plus efficaces. Cette corruption intervient lorsque certains hommes politiques peuvent extraire des rentes du pouvoir qu’ils centralisent et de l’information qu’ils contrôlent, et que les checks and balances sont trop faibles pour être dissuasifs.

Enfin, la « petite corruption », ou « corruption bureaucratique », n’en est pas moins néfaste pour la culture démocratique et l’État de droit. Elle affecte la vie quotidienne des personnes et des entreprises dans leurs interactions avec les pouvoirs publics – pour obtenir une carte d’identité, un permis de construire, ou payer ses impôts. Elle n’en est pas moins pernicieuse, gangrenant la confiance des citoyens dans les institutions. Les solutions passent ici par la réforme de la fonction publique, la refonte des prestations salariales, le renforcement de la méritocratie, et la dématérialisation des services publics.

L’analyse de la corruption repose souvent sur les asymétries d’information et de pouvoir entre le « principal » (les citoyens) et ses « agents » (les politiques). Ces asymétries de savoir et d’information tendent à expliquer la corruption dans les démocraties, alors que les asymétries de pouvoir et d’influence peuvent l’expliquer dans les régimes autoritaires. La loi devient un instrument de contrôle, plus que d’autocontrôle. Plus récemment, cette approche institutionnelle s’est enrichie des apports de la psychologie des comportements.

Corruption in a Global Context montre comment la corruption constitue un phénomène global dans un monde devenu globalisé, notamment avec l’émergence de conventions internationales chaque fois plus contraignantes. L’ouvrage offre des cas d’études fascinants, mais manque de la rigueur qui permettrait d’en tirer des conclusions pour agir.

Carlos Santiso

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