Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Raghuram Rajan, Monetary Policy and Its Unintended Consequences (MIT Press, 2023, 140 pages).

S’il est un économiste qui jouit d’une réputation exceptionnelle, c’est bien Raghuram Rajan. Au milieu des années 2000, il avait alerté sur les risques que les produits structurés faisaient peser sur le système financier international. Entre 2013 et 2016, en tant que gouverneur de la banque centrale indienne, il a réduit le taux d’inflation par deux et sauvé la note en catégorie investissement de New Delhi. Aujourd’hui professeur de finance à l’université de Chicago, il s’inquiète des effets pervers des politiques monétaires accommodantes en vigueur jusqu’en 2022. On ne peut donc que lire religieusement son analyse.

Raghuram Rajan commence par saluer l’action menée par les banques centrales occidentales en 2008-2009, qui a permis d’écarter le risque systémique et d’éviter une conflagration économique et financière mondiale. Il critique, en revanche, le maintien de politiques monétaires très accommodantes durant les années 2010. D’abord, les taux d’intérêt à zéro sont loin d’avoir stimulé la demande globale autant qu’attendu. En effet, de nombreux fonds d’investissement ont été contraints de faire appel à davantage d’épargne pour espérer maintenir le volume de retour sur investissement ciblé ex ante. Plus grave, ils ont été incités à chercher des rendements à tout prix, ce qui a conduit à des stratégies hasardeuses et au développement de produits financiers spéculatifs. Ensuite, le niveau très bas du loyer de l’argent a conduit l’ensemble des acteurs économiques à emprunter excessivement, le plus souvent en vue de consommer ou de procéder à des achats d’actifs survalorisés. Troisièmement, les politiques monétaires accommodantes ont créé de l’aléa moral. Misant sur l’activisme des banquiers centraux et sur leur intervention en dernier ressort en cas de crise, les établissements de crédit les plus importants ont accru leur prise de risque. Enfin, le laxisme monétaire dans les États industrialisés a contribué à la création de bulles dans les pays émergents, qui ont vu leurs devises s’apprécier avant que n’apparût un retournement de cycle brutal.

Afin de sortir de ce paradigme qui détruit de la valeur, exacerbe les inégalités et sape la globalisation financière, Raghuram Rajan propose de lancer une vaste réflexion sur la qualité des politiques monétaires occidentales. Il considère qu’il faut tenir compte de leur efficacité sur le plan domestique et de leurs effets négatifs au niveau international. Ce second aspect est loin d’être négligeable quand on connaît la forte internationalisation des banques américaines et européennes. L’auteur exprime quelques doutes quant à la pertinence des règles macroprudentielles, censées limiter la prise de risque des établissements de crédit. Celles-ci ne s’appliquent qu’aux échelles nationales et demeurent trop parcellaires, en particulier à l’ère du shadow banking.

L’ouvrage de Raghuram Rajan est indispensable pour comprendre les dérives actuelles de la finance internationale. L’auteur déplore l’interventionnisme forcené des banques centrales et les effets pervers qui en ont découlé. Il a également le grand mérite de prendre le contre-pied du dogme monétaire imposé par Alan Greenspan dans les années 1990, en affirmant que les banques centrales doivent désormais être en première ligne pour assurer la stabilité financière internationale.

Norbert Gaillard

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