Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de John J. Klein, Fight for the Final Frontier: Irregular Warfare in Space (U.S. Naval Institute, 2023, 264 pages).

John Klein, stratégiste américain réputé, auteur remarqué de deux ouvrages ayant renouvelé les réflexions sur la stratégie spatiale, fait à nouveau ici œuvre de salubrité publique en s’attachant à décrire, expliquer et comprendre la conflictualité spatiale au début du XXIe siècle. Il le fait en se concentrant non sur les visions fantasmées de la « guerre des étoiles », mais sur les pratiques observables de rivalité et de compétition des États dans l’espace.

Au cœur de l’ouvrage : le constat que le domaine spatial (incluant le segment spatial, le segment sol et les liaisons) est entré dans une ère marquée par la généralisation de comportements ambigus s’inscrivant sous le seuil du conflit armé – qu’ils soient qualifiés d’inhabituels, d’inamicaux ou d’irresponsables – ; qu’il y a urgence à ne pas créer un espace d’impunité compte tenu des effets stratégiques de ces actions dès le temps de paix ; et que les États ciblés – États-Unis, alliés, partenaires – doivent s’adapter à cette nouvelle normalité en s’armant, d’abord intellectuellement, pour mieux les appréhender et les contrer. Ce diagnostic n’est pas nouveau. L’heure est à l’adaptation des politiques spatiales de défense, aux États-Unis mais aussi en Europe, comme l’illustre la stratégie spatiale de défense française de 2019. Les appels de l’U.S. Space Force à se préparer à une competitive endurance soulignent également que la prise de conscience s’accompagne de réflexions doctrinales avancées. Le phénomène, dans le cas de l’espace, reste toutefois sous-théorisé, insuffisamment connu hors des cercles d’experts, et ses implications apparaissent peu lisibles en termes d’actions, notamment face aux enjeux de maîtrise de l’escalade.

Fight for the Final Frontier présente l’intérêt d’offrir à la fois un guide théorique, un corpus de cas pratiques et un plan d’action. L’ouvrage se veut d’abord un exercice de théorisation : sans minorer son pendant « régulier » qu’est l’espace comme warfighting domain relevant selon l’auteur de la certitude stratégique, il propose un cadre conceptuel convaincant, inspiré de la « guerre irrégulière » et visant à mieux définir et caractériser les stratégies sous le seuil de violence qui prennent place dans l’espace et à les mettre en perspective. Si celles-ci paraissent innovantes aux acteurs soumis à des dilemmes d’attribution et de réaction, elles ne sont pas spécifiques à l’espace, et s’inscrivent dans des pratiques millénaires. L’objectif est ensuite d’ancrer la réflexion dans la réalité quotidienne, en proposant plusieurs cas d’études comme autant de figures de la « guerre irrégulière spatiale » (cyberattaques, création intentionnelle de débris, manœuvres d’intimidation en orbite, utilisation stratégique des normes ou encore recours aux proxies sur fond de commercialisation de l’espace). Enfin, il s’agit de proposer des pistes pour l’action, en rappelant que l’invulnérabilité est un absolu inatteignable, que l’objectif de la stratégie spatiale n’est pas de contrôler tout l’espace et que, pour être efficace, elle doit s’appuyer sur une combinaison adaptée de moyens offensifs et défensifs (résilience).

S’il ne peut être à l’évidence qu’un point de départ vers une meilleure compréhension de la grammaire stratégique dans l’espace, l’ouvrage de Klein a le mérite de proposer des bases conceptuelles solides, en plus d’être d’une grande actualité.

Guilhem Penent

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