David Cadier vient de publier un article dans PE 3/2012, intitulé « Après le retour à l’Europe : les politiques étrangères des pays d’Europe centrale”. Docteur en science politique du CERI-Sciences Po, David Cadier est enseignant à la London School of Economics (LSE) et chercheur à LSE IDEAS. Il répond à trois questions pour politique-etrangere.com.

Dans votre article, vous soulignez que décrire la politique étrangère des pays d’Europe centrale comme unanimement et aveuglément proaméricaine relève de la caricature. Vous distinguez l’atlantisme normatif de l’atlantisme stratégique. Pourriez-vous préciser ces deux notions ?

Les préférences de politique étrangère de ces États se sont trouvées projetées sur le devant de la scène dans un contexte singulier, celui de la crise irakienne. Cette période de polarisation et de cristallisation des positions européennes sur la question des relations avec les États-Unis donna lieu à de nombreuses simplifications, la plus célèbre étant l’opposition entre ancienne et nouvelle Europe avancée par Donald Rumsfeld.
Mais les pays d’Europe centrale ne sont pas les seuls atlantistes au sein de l’UE et, surtout, leurs orientations atlantistes ne sont ni uniformes ni figées. C’est pour tenter d’éclairer les différentes racines de l’atlantisme centre-européen et de comprendre ses manifestations et ses évolutions que l’article propose de distinguer atlantisme stratégique et atlantisme normatif. Le premier renvoie à un pilier “géopolitique” : le maintien d’une présence militaire américaine en Europe est vue comme la clé de l’équation de sécurité nationale. Le second renvoie à un pilier “axiologique” : pour les élites régionales, formées dans les années 1980 et 1990, les États-Unis incarnent un modèle en matière d’économie de marché et de promotion de la démocratie. Ces deux piliers ne sont pas antagonistes et ont, ensemble, sous-tendu la préférence atlantiste des pays d’Europe centrale. Néanmoins, ils se déclinent en deux postures, que ces différents pays ont plus ou moins privilégiées ces dernières années. L’atlantisme stratégique participe d’un calcul en termes de rapport de force et s’adapte aux évolutions du contexte international ; l’atlantisme normatif procède d’une adhésion aux positions et valeurs associées aux États-Unis – ou projetées sur eux. Pour distinguer ces deux attitudes, l’article se réfère aux politiques polonaises et tchèques de la fin des années 2000.

Quelle est la meilleure manière de décrire les relations entre les pays d’Europe centrale et la Russie ?

À l’évidence, étant donné leur charge historique, les relations avec la Russie peuvent s’avérer complexes. Pour autant, là encore, il importe d’éviter les raccourcis et de considérer les différences dans les situations et dans les politiques de ces États. Des contrastes assez prégnants sont par exemple apparus dans leurs réactions au conflit russo-géorgien de l’été 2008.
Au-delà de l’approche différenciée de Moscou vis-à-vis de ces pays, différents facteurs sont à prendre en compte. Les dynamiques de politique intérieure tout d’abord : la question des relations avec la Russie est, par exemple, extrêmement polarisante à Prague. Certains acteurs politiques ou sociétaux tendent à la caractériser comme une menace lorsque d’autres la décrivent plutôt comme un partenaire économique. De fait, en République Tchèque, les discours sur la Russie servent souvent des fonctions rhétoriques internes. De même, en Slovaquie, la politique à l’égard de la Russie a souvent varié au gré des alternances gouvernementales, d’importantes différences pouvant par exemple être relevées dans les positions des gouvernements Meciar, Dzurinda et Fico 1, un registre nationaliste correspondant généralement à de meilleures dispositions à l’égard de Moscou. Cette constatation amène à un deuxième facteur : les enjeux identitaires. Le récit national slovaque prend avant tout racine dans la période « proslave » de la fin du XIXe siècle ; par contraste, beaucoup plus que pour les deux autres pays étudiés, l’histoire polonaise est émaillée d’expériences négatives avec la Russie. Cette sédimentation historique et identitaire a malgré tout pu être surmontée dans la mise en œuvre récente d’une politique de normalisation progressive des rapports polono-russes, causée et rendue possible par l’influence structurelle du contexte régional, troisième facteur à prendre en considération. La politique américaine du reset et l’apaisement des relations UE-Russie avaient ouvert la voie à une telle normalisation ; elle a par ailleurs été souhaitée par Varsovie en vue de renforcer son leadership au sein de la politique orientale de l’UE.

Les pays d’Europe centrale ont-ils une attitude unifiée au sein de l’Union européenne ? Sur le Partenariat oriental par exemple ?

Pas vraiment : une telle unité apparaît difficilement réalisable vu l’éventail de sujets abordés à Bruxelles et étant donné les contrastes mis en exergue dans l’article. Ce qu’on constate en revanche depuis la fin des années 2000, c’est un plus grand effort de coordination des positions centre-européennes, notamment dans le cadre du Groupe de Visegrad. Le Partenariat oriental est un bon exemple : ce projet d’inspiration polonaise a été discuté au sein du Groupe de Visegrad avant d’être présenté à Bruxelles. Les pays centre-européens ont affiché une certaine cohésion dans leur volonté de stabiliser la périphérie est-européenne et de s’aménager, pour eux-mêmes, une niche de spécialisation au sein de la politique extérieure commune. Les degrés d’implication des capitales centre-européennes ont, en revanche, été différents.
Les pays de Visegrad aiment à rappeler qu’ils disposent, à eux quatre, d’autant de voix au Conseil européen que la France et l’Allemagne réunie. Pour autant, un « front commun permanent » apparaît peu probable. Il convient tout d’abord de prendre en compte le différentiel de poids, et d’ambition, qui existe entre la Pologne et les trois autres États. On imagine mal un des trois autres ministres des Affaires étrangères tenir un discours tel que celui prononcé par Radek Sikorski le 21 septembre dernier à Oxford. De fait, si la formule du Triangle de Weimar (France-Allemagne-Pologne) venait à gagner en substance, Varsovie serait peut-être moins encline à se reposer sur le Groupe de Visegrad. Les situations nationales divergent en d’autres points. Les pays d’Europe centrale mettent l’accent à Bruxelles sur la sécurité énergétique et notamment sur la question des interconnecteurs ; néanmoins, Prague et Bratislava comptent sur l’énergie nucléaire lorsque Varsovie contemple la possibilité d’exploiter ses réserves en gaz de schiste. Surtout, la Slovaquie est membre de l’Eurozone, la Pologne continue d’afficher son intention de la rejoindre (bien qu’avec moins de vigueur), alors que la République Tchèque repousse cette adhésion aux calendes grecques et a refusé d’adhérer au pacte budgétaire européen.

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