Reflets du temps.fr accorde une nouvelle fois un beau papier à PE, ici pour son dossier “Internet, outil de puissance” (PE 2/2012). À lire ci-dessous.

Il est difficile de négliger – dans un monde de plus en plus complexe, si ce n’est illisible parfois, pour pas mal d’entre nous – des outils de décryptage ; des « ailes qui voient loin », sous lesquelles respirer. Faut-il le répéter ? les revues de l’IFRI sont de ceux-ci. Ce numéro, tout particulièrement, puisqu’il aborde deux dossiers de 1er plan, au balcon du monde actuel : Internet, outil de puissance, et Les reconfigurations de l’Asie.
Le dossier, riche et varié, original et aussi surprenant, comme à l’habitude avec la revue Politique étrangère, qui pose le sujet incontournable de : Internet, outil de puissance (pas de ? remarquons-le) se nourrit de 7 articles ; on ne les trouvera nulle part ailleurs ; autant s’y arrêter !
On s’y interroge sur la place et les mouvements, dangereux, ou – et – porteurs d’avenir, du cyberespace. On y voyage en Russie, et en Chine, où « tourne la géopolitique » de maintenant, pour observer leur positionnement ? utilisation ? du Net. On s’arrête chez les soldats ; l’armée et Facebook ; y-a-t-il un intrus ? On se demande – hypothèses, et problématiques à foison – quelles régulations, contrôles ; quelles institutions seront le mieux à même de permettre à tout un chacun, aux quatre coins du monde, de vivre en bonne intelligence sous cette « Toile » qui se balade au-dessus de 2 milliards de connectés, en attendant tous les autres.
« La gouvernance d’internet pose un problème spécifique, en ce sens qu’elle exige la mise sur pied d’un système articulant, par des modes inédits, à inventer, États et entités civiles, ayant quelque chose à dire ou à défendre quant au mode de fonctionnement de la Toile mondiale ». Problème posé d’entrée de jeu : le monde a eu le Net ; puis, et seulement puis, l’arsenal de l’utilisation juridique, politique, éthique, s’est imposé comme étant à construire. Ce qu’on nomme en didactique, une situation-problème !
Bertrand de La Chapelle, dans Gouvernance internet : tensions actuelles et futurs possibles, place les pièces du « jeu » : « tension entre un réseau conçu techniquement comme sans frontières, et un système international Westphalien – Traités de Westphalie, au 17è siècle, marquant la naissance de l’esprit de frontières – reposant sur la souveraineté d’États-Nations à la juridiction géographiquement définie ». L’architecture non géographique, en nébuleuse souple, d’Internet (ce qui fait son succès), est un formidable défi à la face des États, qui réagissent par la volonté de contrôle – au moins – et, parfois, par des essais de « capture nationale » de l’outil.
Wolfgang Kleinwächter, quant à lui, décrypte le formidable choc des cultures qui bruisse entre gouvernements, sociétés civiles, et, ajoutons-le, mentalités. « Poursuivre sur la voie d’un Internet libre et ouvert, ou, faire le choix d’un Internet réglementé, limité, censuré et fragmenté », voilà la nouvelle interrogation. « Ressource sans limites », par ailleurs (donc, rétive aux mécanismes d’appropriation, et de chantage, propres à ceux de la gestion de l’énergie, ou de l’eau). Ne pouvant entrer dans aucun fonctionnement pyramidal, classique, Internet est « la bête étrange » qui regarde le monde, et que le monde regarde comme telle.
Deux articles, brillants, ont choisi d’éclairer le statut du Net dans les deux puissances que sont la Russie et la Chine. L’émergence, et l’ombre de la Guerre Froide. Deux monstres considérables, tant en poids économique, démographique, qu’en termes militaires ; deux États, autoritaires, dans lesquels la centralisation et la gestion pyramidale, l’habitude du citoyen espionné, sont largement encore de saison. C’est au nom de « la stabilité, la sécurité, la souveraineté » que la Chine « surveille ». Internet est vu comme un levier dans les rapports économico-commerciaux, et, comme un puissant outil de réverbération à l’étranger, de ce qu’on veut donner à voir… sauf, qu’à l’occasion de divers évènements, les internautes et autres Facebookers, ont, là, comme ailleurs dans le monde, su « donner de la souris ». La Russie est montrée, dans une dichotomie, entre un Medvedev, fasciné par le Net, bien décidé à l’utiliser comme lien de citoyenneté, et – inévitablement, et avec risque – vecteur de démocratie, et un Poutine, méfiant, lisant le Net comme perturbateur, outil de révoltes non contrôlables, et, au bout, image d’un Occident caricaturé comme dangereux.
La cyberguerre n’aura pas lieu, mais il faut s’y préparer
vous dira tout, par la plume de Michel Baud, de ces menaces et conflits à venir, qui remplacent dans l’imaginaire collectif, et dans le travail des agences de renseignements, la « Guerre froide » et ce qui a suivi. Cyberhacktivisme, cybervandalisme, cyberespionnage, pour finir par le cyberterrorisme, avant la cyberguerre qui n’est pas un vocabulaire de jeu vidéo. C’est sans doute le plus directement passionnant des articles, car l’émotionnel est convoqué partout, quand on nous parle de virus, ver, cheval de Troie : la cyberguerre d’Estonie, en 2007, mettant en cause la Russie ; « nos » Rafales, bloqués au sol, en 2009 ; l’attaque des centrifugeuses des réacteurs nucléaires iraniens, par un ver, mitonné par les USA, et Israël… et, tant encore !
Marc Hecker et Thomas Rid ont conduit, eux, une recherche approfondie, dont la problématique : Les armées doivent-elles craindre les réseaux sociaux ? est beaucoup plus ample qu’elle ne le semble au premier abord. L’article étant transposable à bien d’autres secteurs sociétaux, ici, et ailleurs. 750 millions de Facebookers, en 2011 ! Qu’écrivent les soldats, à qui ? Que postent-ils en images ou séquences youtube ? Qu’est ce qu’un devoir de réserve ? Que savent – et doivent savoir – les supérieurs hiérarchiques, de ces soldats ? Réponses diverses, mais peut-être moins inquiétantes qu’on ne le supposerait !
Julien Nocetti, qui préface ce dossier majeur, conclut que « la gouvernance d’Internet est devenue un enjeu majeur des relations internationales ». Facette – ou, avatar ? de la Mondialisation, admirée, incontournable ? Crainte, redoutée ? « L’émergence du Web coïncide, observe-t-il, très pertinemment, avec la perception, par l’Occident de son propre déclin »…
Belle conclusion-interrogation, pour une revue de politique étrangère.

Martine L. Petauton, Reflets du temps.fr, 03/11/12

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