Couv PE 4-2012_finalÀ lire ci-dessous : l’article d’Ulrike Guérot, “Noces d’or franco-allemandes : le couple est-il fini ?”, paru dans Politique étrangère 4/2012.
Ulrike Guérot est directrice du bureau de Berlin du Conseil européen des relations étrangères (European Council on Foreign Relations, ECFR).
Disponible ici en français (texte intégral en PDF).

Résumé : France et Allemagne ont des conceptions éloignées en matière économique et sur les formes souhaitables de l’intégration européenne. L’Allemagne craint que la France n’effectue pas les réformes de structure nécessaires en matière économique ; et elle s’étonne que ses propositions d’union politique ne suscitent en France aucun écho. C’est ensemble que Paris et Berlin doivent formuler des propositions pour une intégration à la fois économique et politique, ferment d’un nouveau projet européen.

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Cinquante ans avant la signature du traité de l’Élysée[1] : 1913 – l’Europe n’a pas encore succombé à sa « deuxième guerre de Trente Ans ». 1963-2013 est évidemment plus « romantique » que 1913-1963, même si la France et l’Allemagne se sont beaucoup opposées depuis 50 ans : sur la Communauté européenne de défense (CED) ; sur le traité de Rome qui manque échouer sur le libre-échange des bananes ; sur le plan Fouchet refusé par l’Allemagne comme allant à l’encontre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ; sur le traité de l’Élysée même, que de Gaulle comparait à une jeune fille ou à une rose en danger de se flétrir.
En dépit du traité de l’Élysée, France et Allemagne, avec leur « symétrie dans l’asymétrie[2] », n’ont pas cessé de s’opposer sur l’Europe entre 1963 et 1989. L’histoire des relations franco-allemandes de l’après-guerre est lue par l’historien allemand Gilbert Ziebura[3] comme un mariage forcé (par la main américaine), où la France emploie toute sa ruse pour utiliser les Américains afin de se protéger contre l’Allemagne sans réellement souhaiter l’intégration européenne ; Berlin, lui, se sert de son amitié avec Paris pour gagner en crédibilité internationale, en position de premier de la classe américaine sur le continent européen, se méfiant avec constance du projet français d’une « Europe puissance ». Bonn veut l’intégration sans la puissance et Paris la puissance sans l’intégration. La virilité française n’a jamais séduit l’Allemagne ; et les vapeurs allemandes – interrogations institutionnelles, légalistes, sur l’union politique européenne, sur les mystérieuses notions de « subsidiarité » et de « fédéralisme », obsession juridique, etc. – n’ont jamais charmé Marianne.

Maastricht : une aventure historique

Dans les années 1990, la France et l’Allemagne se sont opposées sur l’Eurocorps et la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), pour ne pas parler des cahots qui ont précédé l’accord sur l’union monétaire et le traité de Maastricht. Les années Kohl-Mitterrand-Delors apparaissent pourtant comme la lune de miel franco-allemande, un temps où Paris et Berlin dépassent les subtilités sémantiques et juridiques pour conclure le traité sur l’Union européenne (UE), entraînant le reste de l’Europe dans une aventure historique[4].
À peine l’encre séchée, Maastricht ouvrait pourtant une « guerre de sept ans[5] » entre les deux États : sur le siège de la Banque centrale européenne (BCE), sur le nom de la monnaie, sur le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), etc. Maastricht et ses séquelles ont laissé un chantier européen béant, que la France et l’Allemagne n’ont pas su conclure avec le traité d’Amsterdam de 1997, ni avec le traité de Nice de 2000 – un Suez diplomatique français[6] où Paris perd sa parité institutionnelle avec Berlin –, ni avec la déclaration de Laeken de 2001, ni avec la Convention européenne de 2003. En 2005, le projet de traité constitutionnel est un échec. Près de 20 ans d’odyssée institutionnelle ont été nécessaires pour accoucher du traité de Lisbonne, qui ne résout aucune des questions posées par la conférence intergouvernementale sur l’union politique de 1991. Et la crise de l’euro rappelle douloureusement que Maastricht et son « union de plus en plus étroite » sont inachevés.

 

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Ulrike Guérot

1. Cet article a beaucoup profité de la relecture précise de Christoph Schmidtkunz, stagiaire au bureau de Berlin de l’ECFR. Sa rédaction a été achevée le 30 septembre 2012.
2. La fameuse expression est du politologue américain Stanley Hoffmann.
3. G. Ziebura, Die deutsch-französischen Beziehungen seit 1945: Mythen und Realitäten, Überarbeitete und aktualisierte Neuausgabe, Stuttgart, Neske, 1997.
4. Le 30e anniversaire de l’entrée en fonction en 1982 de Helmut Kohl a déclenché un vaste débat en Allemagne : le traité de Maastricht était-il une erreur historique ? Cf. H.-P. Schwarz, Helmut Kohl. Eine politische Biografie, Munich, Deutsche Verlags-Anstalt, 2012.
5. É. Aeschimann et P. Riché, La Guerre de sept ans. Histoire secrète du franc fort, Paris, Calmann-Lévy, 1996.
6. F. Heisbourg, « Nice : un Suez diplomatique », Le Monde, 26 décembre 2000.

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