Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Paul Krugman, End This Depression Now! (New York, W.W. Norton & Co., 2012, 260 pages).

Le Prix Nobel d’économie 2008 rappelle dès le début de son livre l’importance des enjeux. Les risques de dérive autoritaire, la crainte de voir les générations futures sacrifiées le préoccupent au premier chef. Selon lui, la crise que traversent les pays industrialisés depuis cinq ans trouve en grande partie ses racines dans la dérégulation financière mise en place par l’administration Reagan dans les années 1980. Celle-ci a accentué les inégalités, provoqué une désépargne au sein des classes moyennes et populaires, créé un aléa moral de grande ampleur. Les banquiers ont sciemment pris des risques démesurés, sachant que l’État interviendrait en dernier ressort en cas de crise grave et de risque systémique.
Dénonçant le lobby tout-puissant de la finance et les thuriféraires de la dérégulation financière – l’ancien président de la Federal Reserve Alan Greenspan, l’ancien secrétaire au Trésor Robert Rubin, les économistes Eugene Fama, Robert Barro, Robert Lucas et Alberto Alesina, etc. – mais également l’actuel président de la Fed Ben Bernanke et l’administration Obama, jugés trop timorés dans leur soutien à l’économie, Paul Krugman regrette que les « austerians » aient réussi à imposer leurs vues aux élites politiques et financières américaines. Il déplore aussi que ceux-là mêmes qui ont fait abroger le Glass-Steagall Act en 1999, responsables à ses yeux de la débâcle de 2007-2008, soient parvenus à présenter la crise comme le résultat des péchés passés et à faire des politiques d’austérité la voie vers la « rédemption ». Il admet ainsi que les politiques de relance qu’il défend sont à tort assimilées à des solutions de facilité sacrifiant le long terme.
Le plaidoyer « néokeynésien » de P. Krugman s’appuie sur une approche empirique. Il considère que si les États- Unis ont pu réduire leur dette publique par le passé, c’est avant tout parce qu’ils ont su stimuler la croissance économique et laisser le taux d’inflation suffisamment élevé pour que les taux d’intérêt réels demeurent faibles (années 1960 et 1970). Puis il affirme que la trappe à liquidité qui menace les États-Unis, et qui a profondément affaibli le Japon depuis 20 ans, écarte tout risque d’inflation. Comment, dès lors, sortir de la récession ? En laissant filer l’inflation, en mettant en place des politiques de relance massive, via des grands travaux, et en augmentant les allocations chômage.
Les limites d’une comparaison Europe/États-Unis sont judicieusement soulignées. L’incapacité du Vieux Continent à sortir rapidement de la crise serait liée à la faible mobilité des travailleurs et à l’absence de gouvernement fédéral. P. Krugman semble cependant sousestimer le poids des réflexes nationaux en Europe et oublier que les 17 États membres de la zone euro sont autant d’entités souveraines pouvant, unilatéralement et à tout moment, retarder ou paralyser l’action de l’ensemble des dirigeants politiques. La façon dont l’Europe tout entière est demeurée suspendue au jugement de la Cour de Karlsruhe sur le Mécanisme européen de stabilité (MES) et le traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG) en est une illustration.
P. Krugman nous livre une analyse militante mais mesurée et argumentée de la crise et des solutions pour en sortir. Mais l’intérêt principal de son ouvrage réside dans le réquisitoire qu’il dresse contre le monde de la finance. Sa critique de la collusion entre milieux d’affaires et pouvoir politique interpelle sur le fonctionnement de la démocratie américaine, faisant passer le débat sur la relance économique au second plan.

Norbert Gaillard

Pour acheter PE 4/2012, cliquez ici.
Pour vous abonner à
Politique étrangère, cliquez ici.