Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Vincent Bignon propose une analyse de l’ouvrage de Robert J. Shiller, Finance and the Good Society (Princeton, NJ, Princeton University Press, 2012, 304 pages).
Finance and the Good Society est un livre de vulgarisation dans lequel Robert J. Shiller, professeur à l’université de Yale, réfute la responsabilité de la finance dans les problèmes économiques contemporains. La tâche est rude et l’écriture parfois besogneuse. Le plan de l’ouvrage évite d’aborder de front les enjeux posés par le titre, pour préférer une défense par petites touches.
Chacun des 18 premiers chapitres décrit un des métiers de la finance. Comme dans Bouvard et Pécuchet, il s’agit de décrire les tâches, fonctions et enjeux des différents types de banquier et autres gérants de portefeuille, des ingénieurs en produits financiers, des éducateurs, en passant par les lobbyistes et les philanthropes. L’auteur se laisse parfois tenter par des platitudes (« Le logement est un des besoins économique fondamentaux » pour introduire les prêts immobiliers). Il défend les bienfaits de chaque profession. Ainsi, sans avancer aucun fait à l’appui, la conclusion du chapitre sur les crédits immobiliers est que « les défauts des produits structurés ont été très visibles et seront corrigés ». Le lecteur qui a suivi l’introduction en bourse de Facebook pourra s’interroger sur l’argument selon lequel les mouvements dans le capital de Facebook reflètent la nécessité de donner de bonnes incitations aux gestionnaires.
La deuxième partie cherche à réfuter les critiques adressées à la finance en procédant par sujet. R.J. Shiller passe en revue les mathématiques, propose une catégorisation des humains entre financiers et artistes. La spéculation et la prise de risque sont décrites comme le résultat d’impulsions chimiques neuronales. L’ensemble laisse l’impression d’une leçon de choses sans fil directeur. Les argumentations mêlent métaphores neuronales, effets des biais psychologiques et plaidoyers pour les calculs. Les bulles sont comparées à la collectivisation forcée des paysans soviétiques par Staline au début des années 1930. Pourtant, soutenir que la collectivisation fut le produit d’une épidémie sociale est hors de propos quand on sait le degré de coercition qui fut employé. Et il n’est pas certain que la seule différence entre ces deux types d’événement soit « la présence de marchés libres, d’analystes, de bilans et de comptes de résultats qui ont permis de limiter la magnitude de ces désastres ».
Surtout, l’auteur n’offre pas de réponses convaincantes aux analyses proposées par ses concurrents américains – universitaires ou journalistes. Les critiques sur la gouvernance interne des intermédiaires financiers et leur mode de gestion des risques, sur les explications du relâchement des normes de qualité des crédits, sur les changements d’organisation juridique des courtiers, sont des enjeux importants pour la finance post-2007. On aurait pu penser que R.J. Shiller prendrait la peine de réfuter ces différents arguments. Il n’en est rien. L’auteur privilégie la thèse peu crédible de l’accident. Pourtant, bien des pistes auraient pu être exploitées pour défendre les apports de la finance aux économies contemporaines. Par exemple en soutenant l’idée que la finance joue le rôle d’un contre-pouvoir aux abus de gouvernance des firmes ou des États. Finance and the Good Society aurait pu être un livre informé et polémique. C’est un livre vague et (trop souvent) attendu car biaisé par une défense à tout prix de l’état actuel de l’industrie financière.
Vincent Bignon
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